À propos des « mythes » sur le Covid-19

Certains de nos lecteurs auront peut-être vu passer sur les réseaux sociaux cet article du média en ligne TheConversation.Com : Six common COVID myths busted by a virologist and a public health expert.

Les auteurs, un virologiste et un expert en santé publique britanniques, entendent “débunker” six “mythes” sur le Covid-19. Si leur message peut séduire le grand public, une lecture approfondie de leur argumentation – et surtout de leurs sources – laisse entrevoir une grande simplification de problèmes complexes, des biais d’interprétation probablement dus à une sélection orientée de la littérature (cherry-picking) ainsi que des lacunes dans l’évaluation des questions envisagées. Revoyons ces six “mythes” l’un après l’autre.

“Mythe” nº 1 : Le virus est devenu moins agressif

Les auteurs avancent que si le variant Omicron est souvent déclaré moins agressif que ses prédécesseurs, et semble l’être en Grande-Bretagne, c’est le résultat d’une large immunité acquise dans la population. En effet, une vague épidémique à Hong-Kong, dont la population était, jusque là, relativement épargnée par le SARS-CoV-2 et assez peu vaccinée, a été dévastatrice. Les nouveaux sous-variants d’Omicron ont, par ailleurs, une préférence pour les voies respiratoires basses, les rendant plus dangereux. Au total, les auteurs concluent que le SARS-CoV-2 est toujours très agressif.

Cette conclusion est contredite non seulement par le suivi épidémiologique de Public Health England (novembre 2022), qui montre une moindre dangerosité intrinsèque du SARS-CoV-2, déjà depuis la domination par le variant Delta, mais aussi par la littérature scientifique revue par les pairs. En effet, de nombreuses études pointent vers la combinaison de la moindre dangerosité intrinsèque des variants, couplée aux taux d’immunité acquise dans la population et à l’amélioration de la prise en charge des patients, pour expliquer le risque amoindri de développer des formes sévères de Covid-19: The Lancet (janvier 2022) ; The Lancet (février 2022) ; NEJM (février 2022) ;  Infectious Diseases – JAMA Network (février 2022) ; The Lancet (mars 2022) ; The British Medical Journal (mars 2022) ; The Lancet Infectious Diseases (juillet 2022) ; Infectious Diseases – JAMA Network Open (octobre 2022) ; Nature Medicine (juin 2022) ; Infectious Diseases – JAMA Network Open (octobre 2022)

L’étude “The decline of COVID-19 severity and lethality over two years of pandemic” [medRxiv (juillet 2022)] qui, elle, n’a pas encore été revue par les pairs, indique que cette combinaison de facteurs a réduit considérablement la dangerosité d’Omicron par rapport aux variants initiaux. Les rapports de Sciensano [Covid-19 Clinical Hospital Surveillance Report, pp. 39-40 (novembre 2022)] indiquent  une réduction de moitié environ des durées d’hospitalisations sévères et de deux tiers pour les séjours en soins intensifs depuis 2020.

Bien sûr, cela ne veut dire ni que le Covid-19 n’est plus dangereux pour certaines catégories de personnes aux profils bien connus, ni que des variants plus agressifs ne pourraient éventuellement émerger.

“Mythe” nº 2 : Le virus n’attaque que les personnes âgées et vulnérables

Les auteurs arguent que même les infections bénignes peuvent entraîner un Covid long, y compris chez les enfants. Les sources de cette section sont particulièrement légères, comprenant notamment un lien vers une association militante, “Long Covid Kids dont l’un des auteurs est membre.

La question du Covid long est l’une des plus complexes abordées dans la littérature scientifique, notamment en raison de la difficulté de définir clairement ce dont il s’agit [JAMA NetworkOpen (novembre 2022)] et de l’absence de groupe de contrôle dans la plupart des études qui abordent cette question. Nombre d’entre elles demandent à des personnes précédemment infectées de rapporter elles-mêmes des symptômes persistants, sans les comparer à des déclarations de personnes non infectées – qui, certes, sont de plus en plus rares. [Consulter, par exemple : JAMA Network Open (novembre 2022) et JAMA Network Open (novembre 2022)].

Un article de The Lancet Regional Health-Europe (décembre 2022) montre que des enfants n’ayant pas reçu un diagnostic positif pour le Covid rapportent des symptômes de “Covid long”. Un autre article récent relève ce point et observe même que, parmi les patients rapportant des symptômes de type “Covid long”, la prévalence de ces symptômes est plus élevée chez ceux qui n’ont pas été testés positifs au SARS-CoV-2: Public Health – JAMA Network Open (decembre 2022). Le rôle de symptômes anxieux et dépressifs existant avant l’infection n’est pas non plus à négliger [Depressive Disorders – Psychiatry – JAMA Network (septembre 2022)].

Le Covid long a le mérite d’avoir mis sous les projecteurs le syndrome post-infection [BMJ (septembre 2022)] qui caractérise de nombreuses autres infections virales. Il semble manifeste que tenter d’empêcher le virus de circuler est voué à l’échec, et que l’amélioration ou la restauration de l’état de santé général de la population sont des objectifs plus pertinents.

Pour ce qui concerne les enfants, que les parents se rassurent, la majorité de la littérature scientifique cautionnée par les pairs estime qu’ils sont peu susceptibles de souffrir tant de formes sévères de Covid que de Covid long. [Consulter, par exemple, Pediatrics | JAMA Network (août 2022) ou Infectious Diseases | JAMA Network Open (octobre 2022) ou Cardiology | JAMA Network Open (octobre 2022) ou Pediatrics | JAMA Network (octobre 2022) ou encore The Lancet Child & Adolescent Health (juillet 2022)].

“Mythe” nº 3 : Se laver les mains est suffisant pour réduire la propagation du Covid

Nous sommes ici d’accord avec l’analyse des auteurs, qui déplorent que les stratégies de lutte contre le SARS-CoV-2 aient mis l’accent sur le lavage des mains (utile en cas de transmission par les gouttelettes) et insuffisamment sur la prévention de la transmission aérosole du SARS-CoV-2 qui est désormais bien connue [Science (décembre 2022)], si ce n’est qu’ils confondent la maladie Covid-19 et le virus SARS-CoV-2. Or, il est essentiel de faire cette distinction et de lutter contre le Covid dans toute sa complexité – y compris en s’attaquant aux facteurs non viraux [Int J Health Policy Manag (novembre 2020)].

“Mythe” nº 4 : Les masques ne marchent pas

La question de l’efficacité des masques fait également l’objet de nombreux débats. Si les études théoriques (en laboratoire, modélisation) indiquent une efficacité évidente, les études en vie réelle sont bien moins claires, et jusqu’à présent, aucune étude n’a réussi à démontrer de manière simple et sans équivoque un effet bénéfique [voir, par exemple, ce working paper du Cato Institute (novembre 2021)], y compris chez les enfants [Arch Dis Childhood (août 2022)] et les étudiants [Infectious Diseases – JAMA Network (août 2022)], particulièrement en comparant les effets bénéfiques aux effets négatifs potentiels [Int J Environ Res Public Health (avril 2021)], par exemple sur le retard d’apprentissage de langage chez les jeunes enfants [J Exp Child Psychology (août 2010)], sur le bien-être [Int J Res Pub Health (avril 2021)] ou sur la santé mentale [Anxiety Stress Coping (septembre 2021)], mais également dans la pollution au micro/nanoplastiques respirés [Science of the Total Environnement (décembre 2021) ; Environnement International (décembre 2022)] et dans l’environnement [Chemosphere (avril 2022)]. Nous sommes d’accord avec les auteurs sur le fait qu’il faut distinguer les différents types de masques – mais aussi la façon dont on les utilise.

A ce stade, de nombreuses incertitudes persistent cependant quant à l’efficacité des masques dans leur usage quotidien [Annals of Internal Medicine (novembre 2022)], efficacité qui varie d’un contexte à l’autre [Annals of Internal Medicine (novembre 2022)]. Il semble dès lors plus approprié d’aller au-delà de la question de l’efficacité du masque pour aborder celle de sa pertinence et de son efficience dans différents contextes et pour différentes populations.

“Mythe” nº 5 : Les vaccins ne réduisent pas la transmission

Les auteurs affirment péremptoirement que « La recherche soutient systématiquement que la vaccination réduit la transmission d’Omicron ainsi que sa gravité », référant, pour étayer cette affirmation, à une revue de vulgarisation qui se penche sur l’effet combiné de la vaccination et de l’infection naturelle [New Scientist (septembre 2022)]. En réalité, l’effet “démontré” sur la transmission est extrêmement éphémère, le rendant inopérant. Au contraire, les articles démontrant l’équivalence de la charge virale chez les vaccinés et les non vaccinés, quel que soit le vaccin ou le nombre de doses reçues, sont légion [voir The Lancet (janvier 2022), The Lancet (février 2022), Nature Medicine (avril 2022), Open Forum Infectious Diseases (mai 2022), Vaccine (novembre 2022)].De façon générale, il n’y a pas de différence marquée au niveau de la charge virale [N Eng J Med, (juillet 2022)] et donc, de potentiel de transmission, entre personnes vaccinées et non vaccinées.

On rappellera ici que la protection contre l’infection par le SARS-CoV-2 et contre sa propagation d’un individu à un autre tient à l’efficacité de la défense immunitaire locale, à savoir l’immunité mucosale. Celle-ci est optimalement provoquée lors de la contamination par les voies respiratoires et à peine, voire pas du tout par une stimulation antigénique systémique telle que générée par un vaccin [Frontiers in Immunology (novembre 2020), Current Opinions in Infectious Diseases (juin 2021), The Lancet e-Biomedicine (janvier 2022)], sauf si la personne a été préalablement infectée par le virus sauvage au niveau de ses muqueuses [Nature Communications (septembre 2022)].

Si le débat sur l’efficacité comparée de l’immunité acquise par la vaccination et par l’infection naturelle a, lui aussi, déchiré la communauté scientifique, un consensus semble toutefois se dessiner sur la supériorité, à moyen terme, de l’immunité acquise par infection. On relèvera, à titre d’exemple, ces articles dans le JAMA en octobre 2022, dans The Lancet en novembre 2022 ou encore dans le même numéro), faisant évoluer les communiqués officiels de l’affirmation les vaccins sont sûrs et efficaces à 95 % [Annals of Internal Medicine (mai 2021)] à “l’immunité hybride est supérieure” [The Lancet Infectious Diseases (novembre 2022]. Toutefois, on peut s’inquiéter de l’apparente sur-contamination des personnes vaccinées, lorsqu’on compare avec les personnes non vaccinées, conduisant, dans certains cas, au calcul d’une efficacité très faible [NEJM  (juillet 2022)], voire même négative comme on l’on observe depuis plusieurs mois, notamment en Belgique (Sciensano, Bulletin épidémiologique hebdomadaire, 1er décembre 2022, pages 60-64), ce qui contredit complètement le raisonnement des auteurs.

“Mythe” nº 6 : Les vaccins ont été développés dans la précipitation

Les auteurs avancent que les essais cliniques des vaccins n’ont pas été précipités, citent une étude de modélisation qui estime que les vaccins anti-Covid auraient sauvé 20 millions de vies dans le monde [The Lancet (septembre 2022)] et que sur les millions (on peut même dire milliards!) de personnes ayant été vaccinées contre le Covid, les effets indésirables sont rares. Notons d’emblée que si les termes “précipités” et “efficaces” ne sont pas forcément antinomiques, il n’est pas possible d’argumenter que tous les tests et délais habituels ont été respectés.

Chacun de ces arguments est ainsi contestable. 

• Les essais cliniques des vaccins en double aveugle ont été interrompus après quelques mois [British Medical Journal (mai 2021)], empêchant la collecte des données sur un temps suffisamment long quant à leurs effets à moyen terme.

• La fréquence des effets indésirables des vaccins anti-Covid [Frontiers in Public Health (février 2022)] est élevée [Vaccine (septembre 2022)] et nombre d’entre eux sont désormais reconnus comme significatifs, rendant la balance risques-bénéfices incertaine [British Medical Journal (juin 2021)] voire négative pour les personnes jeunes [Journal of Medical Ethics (septembre 2022)] et/ou naturellement immunisées.

• Les données disponibles indiquent par ailleurs que les vaccins à ARNm (Pfizer et Moderna) n’ont pas d’effet sur la réduction de la mortalité [The Lancet (avril 2022)].

• D’ailleurs, alors qu’on aurait pu espérer que les campagnes de vaccination réduisent la mortalité liée au Covid-19 comme annoncé, on observe aux USA plus de pertes en termes d’années de vie perdues dues au Covid en 2021 qu’en 2020 [Annals of Internal Medicine (novembre 2022)].

Plus inquiétant encore, en Angleterre, on observe depuis mai 2021 des taux de mortalité (toutes causes) supérieurs parmi les personnes vaccinées [Office for National Statistics (juillet 2022), MedRxiv (septembre 2022)], sans que cela puisse être expliqué à ce jour.

Conclusion

Le Covid-19 a fait l’objet d’un nombre impressionnant de publications [Quantitative Science Studies – MIT Press (août 2020), jbe-platform.com (décembre 2022)], avec une diminution du délai de publication mais une augmentation du taux de rétractation des études publiées [PMC (avril 2022)]. La très sérieuse revue International Journal of Infectious Diseases rapportait en septembre 2022 que plus d’un million d’articles sur le Covid a été publié internationalement. Ceci équivaut à un nombre approximatif de 5.000 à 10.000 articles par semaine. Nous estimons qu’il serait présomptueux de prétendre maîtriser une telle masse d’informations scientifiques et de se targuer d’en avoir réalisé une lecture critique. Nous n’avons pu indiquer qu’une fraction minime de références sur les sujets traités et pourrions, nous aussi, être accusés de faire du “cherry-picking”. Malgré tout, ce texte, qui ne se veut pas exhaustif, illustre qu’un problème complexe ne peut être réduit à des solutions simplistes, ni à des affirmations péremptoires, même émanant “d’un virologue et d’un expert (psychologue) en santé publique” (nous comptons également ces spécialités, et plus encore, parmi les auteurs de ce texte).

Il est donc essentiel, comme nous l’avons souvent réclamé depuis le début de cette crise sanitaire, de nourrir le débat scientifique contradictoire et multidisciplinaire, et il est grand temps de sortir de l’“exception Covid” [IJID (juillet 2021)] pour l’appréhender dans le cadre d’une politique de santé publique (mentale et physique) plus holistique.


Elisabeth PAUL (Santé Publique, ULB), Bernard RENTIER (Virologue, ULiège), Nicolas VERMEULEN (Psychologue, UCLouvain), 

Relecteurs : Vinciane DEBAILLE (Géochimiste, ULB), David DOAT (Philosophe, U.C.Lille), Christine DUPONT (Bioingénieure, UCLouvain), Denis FLANDRE (Ingénieur, UCLouvain)