Situation épidémiologique de la Belgique dans le baromètre de l’OMS

Résumé 

Nous aimerions attirer l’attention sur le baromètre à quatre niveaux de gestion de l’épidémie COVID proposé par l’Organisation Mondiale de la Santé (OMS) [1] qui reste très peu connu et médiatisé en Belgique. Ce baromètre présente l’avantage d’être plus graduel que les critères fixés par notre gouvernement. Il vise un équilibre entre risques épidémiques, capacité de riposte et proportionnalité des mesures, selon l’OMS elle-même. 

D’après ce cadre fixé par l’OMS, la Belgique se situerait aujourd’hui (début février 2021) le plus probablement au niveau 2, ou éventuellement au niveau 3, selon la manière d’apprécier la combinaison des critères (4 étant la situation la plus préoccupante). Pourtant, les mesures de santé publique et les mesures sociales (MSPMS) en vigueur en Belgique correspondent plutôt à celles du niveau 4 du baromètre OMS.

Analyse

Pour sortir de la phase de confinement en Belgique, le gouvernement considère que les indicateurs devront atteindre les seuils suivants, tels que repris par Sciensano [2] :

• Nouvelles hospitalisations < 75 par jour au niveau national pour une période consécutive de 7 jours (ce qui correspond à une incidence cumulée sur 7 jours < 4,5/100.000 habitants) ET Rt hospitalisations < 1

ET

• Nouveaux cas < 100/100.000 habitants sur 14 jours (ce qui correspond à ~800 cas par jour) pour une période consécutive de 3 semaines ET Rt cas < 1.

L’OMS fixe le niveau global de risque (échelle de 1 à 4) sur base d’une matrice d’analyse à deux entrées, la première entrée étant relative aux indicateurs de l’épidémie elle-même, et la seconde entrée se basant sur la capacité de riposte dont un pays dispose pour faire face à l’épidémie (voir Tableau 1 en annexe ci-dessous). 

Les indicateurs OMS de l’épidémie sont (voir détails en annexe) : 1) les nouvelles hospitalisations, 2) les cas de contamination détectés, 3) le taux de positivité et 4) les décès Covid-19. Les trois premiers indicateurs réagissent plus vite que les décès et sont considérés comme étant les indicateurs clefs à suivre, comme Marius Gilbert l’a récemment rappelé [3]*. 

En plus de ces quatre indicateurs, la capacité de riposte est notre levier pour infléchir une tendance en cas de montée de l’épidémie. Celle-ci prend en compte à la fois la capacité résiduelle des hôpitaux, mais aussi la capacité de testing et l’adhésion de la population aux mesures à suivre.

Selon notre analyse présentée en annexe, ci-dessous, les indicateurs de l’épidémie en ce début février 2021 classent la Belgique au niveau TC2 ou TC3. Quant à la capacité de riposte, elle  se situe actuellement au niveau ‘suffisant’ en Belgique (ou au pire, au niveau ‘moyen’) comme détaillé en annexe. En combinant ces deux informations, le niveau actuel le plus probable de la Belgique sur le baromètre OMS est le niveau 2, ou éventuellement le niveau 3 si on adopte une attitude plus conservatrice.

Fixer des critères de décision comporte toujours une part d’arbitraire et quand on en combine plusieurs, il est parfois délicat de se reposer sur l’un plutôt que l’autre. Il reste donc une part indispensable de jugement humain dans l’évaluation du risque et des mesures à adopter. Cependant, la Belgique est actuellement plus stricte que le cadre proposé par l’OMS, ce qui pourrait nous faire dévier du juste équilibre entre contrôle de l’épidémie et minimisation des effets collatéraux des mesures prises pour l’endiguer. À titre d’exemple, le niveau 2 de l’OMS suggère que les établissements d’éducation restent ouverts avec des mesures de lutte anti-infectieuse et le niveau 3 propose de limiter les enseignements universitaires en présentiel, mais pas de les interdire totalement.

Nous sommes conscients que nos autorités souhaitent éviter l’effet “yo-yo” consistant à alterner les réouvertures et fermetures incessantes de l’économie et de la société. Mais il ne faut pas oublier qu’au-delà de leurs effets directs (bénéfiques) sur le ralentissement de l’épidémie, les mesures de lutte contre la Covid-19 ont des coûts et des effets indirects sur d’autres dimensions de la santé et du bien-être des populations. Par ailleurs, il est très difficile de quantifier l’impact des mesures prises sur l’état de l’épidémie: d’une part, ces mesures se superposent dans un système complexe sans qu’il soit possible d’en distinguer les effets spécifiques, et d’autre part, une série de facteurs contextuels et populationnels déterminent en grande partie les résultats sanitaires observés [7] [8] [9]. Des mesures différenciées selon les milieux à risques avec des normes transitoires pourraient également permettre de ne pas généraliser certaines mesures à tout un secteur. Les indicateurs de l’OMS en plus de l’état de l’épidémie qui montre un nombre de nouveaux cas stable depuis janvier et un nombre de nouvelles hospitalisations qui décroît en parallèle, suggèrent d’envisager des phases de tests contrôlées de déconfinement en restant vigilants et réactifs dans le cas où les chiffres augmenteraient rapidement [10]. A cet égard, une politique forte et systématique de tests dans certains secteurs permettrait non seulement d’avoir un regard objectif sur l’évolution de l’épidémie, mais également de pouvoir prendre les mesures nécessaires rapidement le cas échéant.

En conclusion, nous soulignons l’importance d’avoir un débat rationnel et ouvert sur l’équilibre à trouver entre la gestion de l’épidémie Covid-19 et celle des autres pans de la santé publique et plus largement du fonctionnement de notre société. Ceci nécessite une évaluation la plus juste possible du niveau de risque en ce début février 2021 en Belgique. Le baromètre OMS peut nous aider à procéder à cette évaluation de manière transparente.

Signataires:

Frédéric Crevecoeur (UCLouvain)
Vinciane Debaille (ULB)
Christine Dupont (UCLouvain)
Denis Flandre (UCLouvain)
Raphael Jungers (UCLouvain)
Pierre-François Laterre (UCLouvain)
Yves Moreau (KULeuven)
Elisabeth Paul (ULB)
Pierre Schaus (UCLouvain)

* Niel Hens et al.[6] ont également proposé un outil très utile permettant de nous alerter rapidement en cas d’un rebond de l’épidémie qu’il nous paraît important d’utiliser en Belgique en complément au baromètre de l’OMS. Cet outil graphique montre une trajectoire, jour après jour, de l’indice quotidien d’augmentation ou de diminution des nouvelles hospitalisations en fonction de la moyenne des nouvelles hospitalisations. Un complément d’analyse et les graphes correspondants sont disponibles à la fin de l’annexe.

Références

[1] https://apps.who.int/iris/bitstream/handle/10665/336653/WHO-2019-nCoV-Adjusting_PH_measures-2020.2-fre.pdf?sequence=1&isAllowed=y
[2] https://covid-19.sciensano.be/sites/default/files/Covid19/Dernière%20mise%20à%20jour%20de%20la%20situation%20épidémiologique.pdf (voir à la page 6)
[3] https://www.rtbf.be/auvio/detail_derriere-les-chiffres-les-3-indicateurs-a-surveiller-au-quotidien?id=2730708
[4] https://www.rtbf.be/info/dossier/epidemie-de-coronavirus/detail_coronavirus-en-belgique-1a-1b-2a-et-2b-quelles-sont-ces-phases-prevues-afin-d-eviter-la-saturation-aux-hopitaux-et-le-reconfinement-aux-citoyens?id=10600819 
[5] https://plus.lesoir.be/346314/article/2020-12-30/coronavirus-pres-de-90-des-belges-respecteront-les-mesures-pour-le-nouvel
[6] https://www.medrxiv.org/content/10.1101/2020.12.18.20248450v1.full.pdf 
[7] Socio-economic determinants of global COVID-19 mortalities: policy lessons for current and future pandemics | Health Policy and Planning | Oxford Academic (oup.com)
[8] Assessing mandatory stay‐at‐home and business closure effects on the spread of COVID‐19 – Bendavid – – European Journal of Clinical Investigation – Wiley Online Library
[9] Frontiers | Covid-19 Mortality: A Matter of Vulnerability Among Nations Facing Limited Margins of Adaptation | Public Health (frontiersin.org)
[10] https://www.rtbf.be/info/dossier/epidemie-de-coronavirus/detail_marius-gilbert-favorable-a-une-phase-de-test-pour-le-deconfinement?id=10689822
[11] https://covid-19.sciensano.be/sites/default/files/Covid19/COVID-19_Weekly_report_FR.pdf (voir à la page 16)

Annexe: Estimation du niveau BE dans le baromètre de l’OMS: 

Selon l’OMS, la décision d’instaurer, d’adapter ou de lever les MSPMS doit se fonder principalement sur une évaluation de la situation relative à l’intensité de la transmission communautaire (ou TC) et à la capacité de riposte du système de santé, mais elle doit être aussi envisagée en fonction des effets que ces mesures pourraient avoir sur le bien-être général de la société et des personnes. 

Sur base des indicateurs chiffrés de l’OMS (voir détails plus bas), nous estimons que la transmission communautaire est actuellement au niveau TC2 ou TC3, et la capacité de riposte est plutôt ‘suffisante’ (ou éventuellement ‘moyenne’). Le niveau de la situation belge (code couleur, de vert à rouge, à la Figure 1) est donc évalué à 2 ou éventuellement à 3 en Belgique (cadre en bleu clair à la Figure 1).

Fig. 1: Grille d’évaluation de l’OMS [tiré de 1]

Détermination du niveau de transmission communautaire selon l’OMS [1]

Quatre indicateurs sont utilisés pour déterminer le niveau de transmission communautaire (TC):

  • Taux d’hospitalisation = Nombre de nouvelles hospitalisations dues à la COVID-19 pour 100.000 habitants et par semaine (moyenne sur deux semaines). C’est l’indicateur objectivement le plus fiable. 
  • Taux de positivité = Proportion de tests positifs dans des sites sentinelles (moyenne sur deux semaines). A défaut de données de sites sentinelles, on prend ici le taux de positivité global comme borne supérieure. Ce taux est sensible aux indications de test.
  • Incidence des cas = Nombre de cas confirmés pour 100.000 habitants et par semaine (moyenne sur deux semaines). Indicateur moins fiable car dépendant directement de la stratégie de testing et du nombre de tests effectués (élevé en Belgique par rapport aux critères OMS, voir plus bas). Cet indicateur ne peut certainement pas être utilisé isolément.
  • Mortalité = Nombre de décès attribués à la COVID-19 pour 100.000 habitants et par semaine (moyenne sur deux semaines).

Le Tableau 1 reprend ces indicateurs et les valeurs chiffrées correspondant aux différents niveaux.

Tableau 1: Grille d’analyse du niveau de transmission communautaire

IndicateurTC1TC2TC3TC4
Hospitalisations< 55 – < 1010 – < 3030 +
Taux de positivité< 2 %2 – < 5 %5 – < 20 %20 % +
Incidence< 2020 – < 5050 – < 150150 +
Mortalité< 11 – < 22 – < 55 +

Les graphiques actualisés évaluant la transmission communautaire pour les quatre indicateurs sont repris à la Figure 2 (a-d) et sont disponibles sur https://www.covidata.be/who/who. Ils se basent sur les chiffres Sciensano du jour. Aucun n’a plus dépassé le seuil orange très foncé ou TC4 depuis des semaines.

Fig.2a: indicateur d’hospitalisations selon le critère OMS

Fig.2b:  indicateur du taux de positivité selon le critère OMS

Fig.2c:  indicateur d’incidence des cas de contamination selon le critère OMS

Fig. 2.d: indicateur de mortalité selon le critère OMS

Sur base de ces quatre indicateurs, nous estimons que le niveau de transmission communautaire est actuellement à un niveau TC2 ou TC3, en gardant à l’esprit que l’indicateur le plus stable sont les hospitalisations et celui-ci est à un niveau TC2 depuis début janvier 2021.

Détermination de la capacité de riposte selon l’OMS [1] 

La capacité de riposte matérielle est notamment liée à la capacité hospitalière et à la capacité de testing, alors que la capacité de riposte immatérielle est par exemple relative à l’adhésion de la population (voir détails plus bas et le Tableau 2).

L’utilisation des lits en soins intensifs en BE est actuellement proche des 15% (Figure 3) ce qui devrait permettre à la Belgique de repasser en phase 0 pour ce critère permettant aux hôpitaux de fonctionner normalement [4] et en phase 1A pour les lits, correspondant à maximum 25% de patients Covid-19. Ces valeurs devraient nous laisser le temps de réagir en cas de remontée rapide de l’épidémie.

Fig.3: Evolution du nombre total de patients hospitalisés pour Covid-19 (haut) et plus particulièrement hospitalisés en soins intensifs (bas)

La capacité de testing s’est élevée à plus que 30 tests pour 1000 habitants et par semaine sur la dernière période de deux semaines, soit un chiffre plus de dix fois supérieur au seuil nécessaire pour atteindre la mention ‘suffisant’ de la grille de critères (voir Tableau 2).

Concernant l’adhésion de la population, il est beaucoup plus difficile de l’estimer objectivement. Plusieurs sondages passés ont indiqué des valeurs élevées de respect des mesures, comme ce fut par exemple le cas durant les fêtes de fin d’années [5]. Cependant, une certaine lassitude semble s’installer ces dernières semaines avec des problèmes de santé mentale, notamment chez les jeunes qui sont fatigués du manque de perspectives, et il n’est pas impossible que l’adhésion soit plus faible aujourd’hui. Il faut donc veiller à la préserver en trouvant un juste équilibre entre risque épidémique et mesures restrictives proportionnées.

La capacité de riposte dépend aussi du temps disponible pour répondre à un changement de la situation. Les chiffres du mois d’octobre montrent que le début du rebond correspondant à la deuxième vague est survenu aux alentours du 6 octobre (voir l’outil de N. Hens, Rt proche de 1, ~75 hospitalisations par jour), et les mesures liées à cette vague sont entrées en vigueur le 19 octobre. Tenant compte du fait que la situation actuelle est de retour dans la zone jaune, ces données suggèrent que nous disposons d’une semaine pour monitorer l’effet de tout assouplissement et éventuellement corriger la trajectoire avant de risquer de reproduire celle du mois d’octobre. 

Des indicateurs épidémiologiques primaires additionnels sont proposés par l’OMS pour évaluer le niveau de la capacité de riposte et la performance du système de santé et des services de santé publique concernant la COVID-19. L’ensemble des critères est repris ci-dessous et détaillé au Tableau 2.

  • Capacité des soins cliniques = Taux d’occupation des lits d’hôpitaux. Estimation sur base des lits en soins intensifs. 
  • Performance des soins cliniques = Taux de létalité des cas hospitalisés classés. A défaut, on se base sur la tendance du nombre global de décès. 
  • Capacité de riposte de la santé publique = Nombre de personnes testées pour 1000 habitants et par semaine (moyenne sur deux semaines). Très élevé en Belgique.
  • Performance de la riposte de la santé publique = Proportion des cas pour lesquels une enquête a été menée dans les 24 heures suivant l’identification. D’après la Figure 4 reprise du rapport hebdomadaire de Sciensano, le délai entre l’obtention du résultat du test et l’appel au patient est en moyenne inférieur à 24h, sans que l’on ne connaisse le nombre de cas où un délai supérieur serait survenu.
  • Performance de la riposte de la santé publique = Soutien / adhésion aux MSPMS (mesures de santé publique et mesures sociales). Le chiffre de 80% d’adhésion a été souvent cité en Belgique, mais pourrait être en baisse.

Tableau 2: Grille d’analyse de la capacité de riposte selon l’OMS, et situation estimée en Belgique début février 2021

Capacité de riposte
IndicateurSuffisanteMoyenneLimitéeBelgique (S5, 2021)
Lits< 75 %75 – < 90 %90 % +Suffisant
LétalitéBaisseStableHausseBaisse
Tests2 +1 – < 2< 130 +
Enquêtes80 % +60 – < 80 %< 60 %Au minimum moyenne
AdhésionForteModéréeFaibleAssez forte

Sur base de ce tableau et des discussions ci-dessus, nous estimons que la capacité de riposte actuelle est plutôt suffisante (voire éventuellement moyenne si on adopte une attitude très conservatrice) en février 2021 en Belgique.

Figure 4: Délai entre le début des symptômes et l’appel au patient. Les zones en orange et en jaune correspondent plus précisément au délai entre la réception du résultat du test et l’appel au patient. Tiré d’un rapport de Sciensano [11].

Complément d’analyse sur base de l’outil de Niel Hens et al. [6] 

Voici les zones utilisées dans le graphique repris dans [6] s’arrêtant au 13/12.

Ce graphique est aussi consultable sur covidata.be. Les chiffres actuels montrent que nous serions dans la zone jaune (2e niveau).