On entend de plus en plus parler de la nécessité d’aérer, de ventiler, nos lieux de vie, locaux de travail, classes, salles Horeca, de sport ou de spectacle… pour limiter les risques de propagation virale en cette période. Mais comment faire en pratique ? Quels sont les niveaux de qualité d’air à atteindre de manière pragmatique ? Comment s’en assurer ? Quelles conclusions en tirer ?
Les objectifs de la présente note technique sont les suivants :
1) faire connaître les notes de la Task force ventilation et du Conseil Supérieur de la Santé pour y trouver des informations pratiques utiles,
2) discuter les objectifs de taux de CO2 recommandés en fonction du niveau de risque épidémique,
3) analyser ce risque et documenter à quel point il est bas avec une ventilation adéquate,
4) préciser le taux de renouvellement de l’air adéquat pour quelques cas typiques de notre vie quotidienne,
5) montrer que la ventilation est LA mesure non-pharmaceutique (ou NPI) qui a la plus grande efficacité et devrait être prioritaire, tout en n’ayant pas d’effets secondaires délétères sur l’éducation, le vivre ensemble ou l’activité économique, contrairement à la majorité des autres mesures NPI qui ont été imposées jusqu’à présent.
1) La ventilation des lieux clos a été maintes fois évoquée en Belgique et a fait l’objet de recommandations de la Task force fédérale ‘ventilation’ 1https://emploi.belgique.be/sites/default/files/content/documents/Coronavirus/Plan_ventilation.pdf et du Conseil Supérieur de la Santé (CSS) 2https://www.health.belgium.be/sites/default/files/uploads/fields/fpshealth_theme_file/20210215_css-9616_covid-19_ventilation_vweb.pdf. Les rapports susmentionnés ont émis des recommandations sur les types de capteurs CO2, comment les placer, comment réguler la qualité de l’air avec une ventilation manuelle (par ex. ouvrir les fenêtres en continu ou de manière intermittente) ou mécanique, etc, nous n’y reviendrons pas en détail ici, les rapports en référence étant bien faits, pertinents et pouvant être consultés en ligne. Quelques éléments pratiques, essentiels, peuvent être cités :
- “Ouvrez les fenêtres et/ou les portes extérieures si possible. L’ouverture permanente, mais éventuellement en oscillo-battant ou entrouverte, des fenêtres et/ou des portes extérieures est la solution la plus efficace. … Si ce n’est pas possible, on peut essayer d’ouvrir les fenêtres et/ou les portes extérieures pendant les périodes d’inoccupation, par exemple avant l’utilisation du local, pendant les pauses ou les récréations, etc. Dans ce cas, un suivi de la concentration en CO2 est conseillé.”
- “Si l’on dispose d’un système de ventilation efficace … il n’est pas strictement nécessaire d’ouvrir les fenêtres et/ou les portes extérieures. … Veillez à ce que le système de ventilation fonctionne et soit entretenu … À cet égard, les mesures de CO2 restent utiles pour vérifier si le système de ventilation fonctionne toujours correctement.”
Dans les cas sans ventilation mécanique, ajoutons qu’il paraît plus efficace pour renouveler l’air d’une salle, de créer un appel d’air en 2 endroits opposés de la pièce, et assurer une convection naturelle, si possible, de bas en haut.
2) Pour la bonne utilisation des capteurs CO2 afin d’atteindre une qualité d’air qui minimise les risques de contagion, il convient de fixer une valeur maximale à respecter. Les rapports précités évoquent un maximum de 800 à 900 ppm de CO2 en intérieur. Le CSS trouve nécessaire d’aller au-delà des normes les plus strictes couramment utilisées, en visant un renouvellement d’air de 10 litres / seconde / personne (ou l/s/p), pour limiter l’excès de CO2 à 550 ppm au-dessus de la valeur de l’air extérieur – qui contient lui de 400 à 450 ppm de CO2 en milieu urbain -, soit un maximum de 1000 ppm à ne pas dépasser dans les bâtiments résidentiels et non résidentiels 3https://energieplus-lesite.be/reglementations/ventilation9/performance-energetique-des-batiments-ventilation-des-batiments-nbn-en-16798-12019/. Apparemment inspirées par les secteurs hospitaliers et pharmaceutiques, où un taux de renouvellement de l’air de 12 à 15, voire 30 fois par heure est recommandé 4https://energieplus-lesite.be/concevoir/climatisation3/exemples-pour-des-locaux-specifiques3/zones-a-risque-de-contamination-eleve-de-l-hopital/, … Continue reading, ces recommandations n’ont pas été justifiées sur base de calculs de réduction de risques épidémiologiques. Les rapports mentionnés ci-dessus en parlent peu ou disent que cela n’est pas encore bien compris ou établi au niveau scientifique. Le CSS mentionne cependant que “En dérogation à cette exigence de base, des valeurs de 25 m³/h par personne (NDRL : ce qui signifie 7 l/s/p de renouvellement d’air frais) et de 1200 ppm peuvent être d’application si l’analyse de risque démontre que la qualité de l’air est équivalente.”
3) Quelle est alors la valeur maximale adéquate de CO2 à viser en intérieur ? L’analyse de risques évoquée ci-dessus peut être effectuée 5https://www.health.belgium.be/sites/default/files/uploads/fields/fpshealth_theme_file/20210917_css-9617_aspects_environmentaux_de_covid-19_vweb.pdf, p. 15, “Le risque d’infection lié aux … Continue reading. Depuis 2020, des modèles de risque de propagation virale en espace clos existent et sont disponibles de manière ouverte. Ils ont notamment été développés aux Etats-Unis par de grands experts de l’Université du Colorado, Boulder, et du MIT. Les articles du Prof. Jimenez 6https://europepmc.org/article/PMC/PMC8043197, par ex., un des plus grands spécialistes mondiaux en aérosols, montrent que la quantité de CO2 en excès (par rapport à l’extérieur), exhalée par les personnes présentes en intérieur, est un bon indicateur du risque de contagion. Des mesures de taux de CO2 que nous avons effectuées dans des auditoires, des salles de cours, des classes d’école primaire … et leur corrélation avec les modèles de propagation virale 7par ex. https://indoor-covid-safety.herokuapp.com/apps/advanced?units=metric indiquent qu’un taux de CO2 inférieur à 1200 ppm, voire 900 ppm, peut être atteint assez aisément en ventilant correctement. Un tel taux suffit alors à garantir un risque de contamination inférieur au pourcent dans le cadre d’une situation standard (un cours par exemple) si une personne était contagieuse dans la salle 8selon le simulateur du MIT référencé ci-dessus. Pour atteindre de tels résultats, le taux de renouvellement d’air doit être adapté à la taille de la salle, au nombre de personnes présentes, à leur activité et à la durée d’exposition, comme développé ci-dessous. Par exemple, en grand auditoire ou salle de spectacle avec des centaines de personnes, une ventilation mécanique devra renouveler tout l’air de la salle plus de 7 fois par heure ; mais dans une petite classe d’une vingtaine d’élèves, entrouvrir porte et fenêtres, de manière continue ou intermittente, est suffisant pour atteindre le renouvellement minimal nécessaire de 3 à 4 fois par heure. Nous y reviendrons.
Ceci est en accord avec les guidelines du consortium européen REHVA (Federation of European Heating, Ventilation and Air Conditioning Associations) 9https://www.rehva.eu/fileadmin/user_upload/REHVA_COVID-19_guidance_document_V4.1_15042021.pdf. REHVA indique en effet que “With Category II ventilation rates according to ISO 17772-1:2017 and EN 16798-1:2019 (NDRL : ce qui correspond à 7 l/s/p), the probability of infection is reasonably low (well below 5 % ) for open-plan offices, classrooms, well-ventilated restaurants, and for short, no more than 1.5-hour shopping trips or meetings in a large meeting room. Small office rooms occupied by 2-3 persons and small meeting rooms show a greater probability of infection”.
4) Pour expliquer et vérifier tous ces chiffres, nous avons donc utilisé les différents simulateurs mentionnés par le CSS, dont celui du BSOH (Belgian Society for Occupational Hygiene) recommandé officiellement en Belgique 10https://www.bsoh.be/?q=fr/co2sim . La figure ci-dessous montre un résultat obtenu pour une salle de 300 m3 (soit des dimensions de 10mx10mx3m par exemple) avec 50 personnes assises et un taux de renouvellement d’air de 4,5 fois par heure, c.-à-d. des fenêtres et portes bien entrouvertes. En démarrant d’un niveau de CO2 de 400 ppm (valeur typique dans l’air extérieur), on atteint après une heure, un niveau maximal qui reste sous 1200 ppm de CO2. Cela correspond à un excès de CO2, par rapport à l’extérieur, inférieur à 800 ppm 11c.-à-d. 1200 – 400, qui garantit un très faible risque de contamination, réduit à 0,6% après 2 heures dans cette salle, si une personne contagieuse est présente, selon les modèles américains mentionnés plus haut.
Pour le confirmer par une autre étude indépendante, REHVA propose également un calculateur de risques 12https://www.rehva.eu/covid19-ventilation-calculator dont les résultats sont présentés par la figure ci-dessous pour 4 cas typiques : un bureau de 2 personnes avec une aération faible de 1 fois par heure, une classe de 25 élèves avec fenêtres entrouvertes (aération de 4,5 fois / h), une salle de sport type mini-foot ou badminton avec un renouvellement d’air de 6 fois par heure, et un auditoire ou une salle de spectacle de 500 personnes avec un renouvellement d’air de 7 fois par heure. On appréciera sur la figure ci-dessus que par rapport au cas de base de 2 personnes restant 6 heures dans une petite pièce sans aération, les probabilités d’infection en cas de présence d’une personne contagieuse sont réduites de plus de 98% dans tous les autres lieux (ventilés de manière adéquate) quand on y passe 2 heures (comme cela est typique en cours, au spectacle, au sport, au restaurant). Il ne faut donc plus s’étonner que les cas de clusters les plus souvent répertoriés par Sciensano 13https://covid-19.sciensano.be/sites/default/files/Covid19/COVID-19_Weekly_report_FR.pdf se trouvent à la maison, en famille, dans les lieux clos, bureaux, salles de réunion, non correctement aérés ou ventilés, et pas dans les auditoires universitaires, les salles de spectacle ou de sport, les restaurants, les hôpitaux, les magasins… bien ventilés. N’est-il pas temps d’en tirer les conclusions qui s’imposent et de cibler les mesures les plus efficaces ?
Remarque : les chiffres donnés dans la figure ci-dessus (pour les 4 cas typiques décrits plus haut dans le texte) ne tiennent compte d’aucune immunité acquise qui réduirait d’autant les probabilités de contamination.
5) Le GEMS a enfin recommandé d‘équiper les écoles de quelques appareils simples, portatifs, de mesure du CO2, coûtant de 50 à 150 euros pièce. Dans sa Circulaire 8376 du 03/12/21, la Fédération Wallonie-Bruxelles recommande “ouverture des fenêtres à partir de 900 ppm et sortie du local le temps de renouveler l’air au-delà de 1200 ppm”. Mais il faudrait assortir cela de recommandations, d’une sensibilisation et d’une formation des enseignants et élèves à l’importance de la ventilation, à trouver les bonnes pratiques à mettre en œuvre dans chaque classe pour garantir une qualité d’air propice à un faible risque viral, mais aussi à de bonnes conditions d’apprentissage.
Pour illustrer les différentes manières de garder le taux de CO2 entre 900 et 1200 ppm dans le cas théorique d’une classe d’école primaire de 200 m3 avec un instituteur et 24 enfants, reprenons le simulateur BSOH présenté plus haut. Avec fenêtres et porte entrouvertes assurant un renouvellement continu de tout l’air de la classe 3 fois par heure, le niveau de CO2 se stabiliserait entre 900 et 1000 ppm après une heure. Tout fermé, un niveau de 1200 ppm pourrait être atteint en moins de 30-40 minutes. Entrouvrir fenêtres et porte permettrait alors de revenir entre 900 et 1000 ppm en une heure. Ouvrir en grand, en une dizaine de minutes. Selon les conditions de chaque environnement ou activité, il est possible en quelques jours d’expérimenter et trouver les pratiques les mieux adaptées. Rappelons que, dans ces conditions, les simulateurs de risque de transmission virale indiquent que si un enfant était malgré tout contagieux dans la classe, la probabilité qu’un autre y soit contaminé est à peine de l’ordre du pourcent, même sans port de masque.
De telles recommandations devraient bien sûr aussi être considérées dans les bureaux, les salles de spectacle, de sport, les restaurants et autres lieux fermés.
En résumé, des aération ou ventilation adéquates de nos lieux de vie intérieurs suffisent à réduire les risques de transmission virale de plus de 95 à 99 %. Les efficacités de toutes les autres mesures envisagées pour lutter contre la propagation du Sars-CoV-2 (masques, CST … et même la vaccination sur les risques de transmission) n’atteignent pas les 80 %, loin s’en faut. Le CSS mentionne par exemple que “l’efficacité des masques pour le grand public (chirurgicaux et « faits maison ») pour la protection contre les aérosols varie considérablement (de 26,5 % à 79 %)” 14https://www.health.belgium.be/sites/default/files/uploads/fields/fpshealth_theme_file/20210215_css-9616_covid-19_ventilation_vweb.pdf, p. 21. Plus récemment, les résultats de Shah et al suggèrent que des taux relativement limités de renouvellement d’air (de 2 fois par heure) conduisent à des concentrations d’aérosols plus faibles, que l’utilisation des masques les plus performants dans un lieu non ventilé 15https://aip.scitation.org/doi/10.1063/5.0057100. La ventilation est donc la mesure qui reste la moins expliquée et pratiquée et qui apparaît pourtant la plus efficace à court et à long termes, partout et pour tous, indépendamment des comportements individuels qui sont eux très variables. En résumé, la meilleure garantie de non contamination, c’est d’évacuer les particules virales. Dans la figure ci-dessous, REHVA ne signifie pas autre chose : les “engineering controls” correspondant à la ventilation, l’ “elimination” à la destruction des pathogènes par UV par exemple.
En conclusion, la ventilation devrait être LA mesure non-pharmaceutique prioritaire 16https://www.health.belgium.be/sites/default/files/uploads/fields/fpshealth_theme_file/20210917_css-9617_aspects_environmentaux_de_covid-19_vweb.pdf, p. 15, “Ces résultats expliquent également … Continue reading. Contrairement à toutes les mesures mises en avant jusqu’à présent, aération et ventilation n’entraînent pas d’effets secondaires dommageables sur l’éducation, le vivre ensemble ou l’activité économique. Au contraire, elles peuvent être facilement maintenues sur le long terme et avoir des effets bénéfiques sur la propagation des autres infections respiratoires, ainsi que sur la qualité de toutes nos activités, notamment d’apprentissage, en intérieur.
Signatures
Prof. Denis Flandre, Ingénieur civil, 20 ans de R&D notamment sur des systèmes avancés de détection et mesures d’ADN, bactéries, gaz, UV, respiration…
Relecteurs
Dr. Raphaël Lefevere, Maître de conférences, Mathématiques
Prof. Raphaël Jungers, Mathématiques appliquées
Prof. Quentin Louveaux, Ingénieur civil
Prof. Boris Jidovtseff, Sciences de la Motricité
Notes