Le Prof. Nathan Clumeck s’est exprimé régulièrement dans les médias ces dernières semaines, pour appeler à une gestion différenciée du risque de santé publique posé par la COVID-19:
“En appliquant strictement certains principes de précautions qui ont fait leur preuves, il serait raisonnable d’envisager la reprise des activités dans certains secteurs actuellement mis à l’arrêt.”
Pr. Nathan Clumeck, https://www.lesoir.be/354540/article/2021-02-11/carte-blanche-gestion-de-crise-ou-gestion-de-risque
Le Prof. Yves Coppieters a également déclaré cette semaine «On ne peut plus vivre de cette manière plus longtemps» (dans Le Soir : “Yves Coppieters prône une vision plus globale de l’épidémie et estime que la réouverture de certains sous-secteurs n’aurait pas d’incidence sur les contaminations si certaines précautions sont respectées.”)
Dans ce document, nous désirons appuyer ces propos par une analyse chiffrée et chronologique des courbes épidémiques des derniers mois en Belgique, et mettre en évidence le fait que certaines mesures spécifiques n’ont montré aucun effet significatif, tandis que certaines évolutions pourraient être associées à la gestion de la situation sanitaire (ce que nous discuterons dans un prochain article). Saisissons cette opportunité pour éclairer les politiques futures!
Rappelons qu’un grand défi en évaluation des politiques publiques “dans la vraie vie” est d’arriver à attribuer un effet (outcome) à une mesure particulière. Ceci est d’autant plus vrai lorsque plusieurs mesures se superposent, prennent un temps variable à impacter les résultats, et lorsque des facteurs contextuels influent eux aussi sur les résultats. En dehors d’expérimentations parfaitement contrôlées, il n’est souvent possible que de mener des analyses de contribution logique aux résultats, en prenant soin de différencier tous les facteurs contributifs possibles et leurs interactions complexes… On est donc loin de l’illusion qu’une variation des données épidémiologiques faisant suite à l’application d’une mesure pointe nécessairement vers un lien de cause à effet. Par contre, l’absence manifeste d’effet de certaines mesures bien isolées permet d’en remettre en cause l’efficacité.
Nous nous concentrerons ici sur quelques éléments non ambigus, faciles à établir et à vérifier.
Observations
De quoi parle-t-on ? De quelles mesures spécifiques ? A quels moments précis ?
La figure 1 est tirée des rapports hebdomadaires de Sciensano. Elle montre les chiffres bruts du nombre de cas positifs journaliers en Belgique en 2020-21 et situe les mesures principales de santé publique prises par le gouvernement fédéral.

Précisons que les conclusions d’une analyse de données brutes (ici, le nombre de cas positifs qui fluctue de jour en jour, notamment avec la stratégie de testing, les consignes locales, les week-ends et jours fériés, …) sont limitées. Des comparaisons ne peuvent être établies que sur base d’analyses de moyennes et d’indicateurs reconnus comme plus fiables, comme le taux de positivité des tests et le nombre d’entrées journalières à l’hôpital.
La figure 2 montre l’évolution du taux de positivité, c’est-à-dire du nombre de tests positifs divisé par le nombre total de tests, en fonction du temps.
La figure 3 expose ensuite le nombre d’hospitalisations journalières en échelle logarithmique, qui permet de mieux faire apparaître les altérations d’une courbe dite exponentielle (cfr. https://fr.wikipedia.org/wiki/Logarithme). Plus précisément, une portion linéaire croissante (ou décroissante) de la courbe représente une phase de l’épidémie où le temps de doublement (ou de division) est constant.
De l’examen attentif de ces 3 courbes, il apparaît clairement que les pics de tests positifs et taux de positivité ont été atteints le 27/10/2020 et le pic d’hospitalisations vers le 31/10/2020 selon un délai typique attendu entre ces deux indicateurs.
Il est aussi largement reconnu que les mesures de confinement prennent de une à deux semaines pour avoir un effet significatif sur les indicateurs épidémiques [1,2]. Pour espérer démontrer qu’une mesure non-pharmaceutique a réellement contribué à une évolution significative favorable des indicateurs, il faut nécessairement que cette mesure soit entrée en vigueur au minimum une semaine avant la détection d’un changement de tendance (croissance ralentie, dépassement du sommet d’un pic, décroissance plus rapide, stabilisation etc). Mais cela reste à analyser dans tous les détails, tant les paramètres d’influence sont nombreux, ce qui rend extrêmement délicate la reconstruction d’un scénario contrefactuel, pourtant nécessaire à la démonstration de l’effet d’une mesure. On rappellera ici qu’il ne faut pas confondre corrélation et causalité.
Au vu des figures ci-dessus, on peut dès lors se demander quels ont pu être les impacts significatifs:
- de la fermeture des auditoires universitaires, imposée le 26/10/2020, soit un jour seulement avant le pic des tests positifs et du taux de positivité,
- des mesures prises le 2/11/2020 (fermetures des magasins “dits non essentiels”, des métiers de contacts, des salles de spectacles, etc. et l’imposition de la “bulle de 1”) alors que les chiffres observés étaient déjà en forte décroissance dès la fin octobre et qu’il n’y a eu aucun changement de pente ou accélération de leur décroissance,
- et enfin, de la réouverture des magasins dits “non-essentiels” (le 1er décembre) en terme de remontée supposée des courbes des figures 2 et 3, non observées à partir de mi-décembre ?
Une mesure très forte est aussi celle du couvre-feu différent imposé à 22h en Wallonie et à Bruxelles, alors qu’il est fixé à 24h en Flandre. La Flandre fait donc office de groupe de contrôle “naturel”. Nous observons aujourd’hui que les trois régions du pays ont convergé exactement vers le même nombre d’hospitalisations par 100.000 habitants, ce qui suggère que les régions avec couvre-feu à 22h au lieu de 24h ne bénéficient pas d’un avantage sur la gestion de l’épidémie.
Le dernier argument qui pourrait plaider pour le maintien de l’ensemble des mesures fortes de l’automne semble être le plateau que montre la courbe des hospitalisations depuis décembre. Pour être exact, il s’agit plus d’une décroissance en escalier. Nous devons reconnaître que personne, à notre connaissance, n’a une explication pour ce net ralentissement de la décroissance, même si de nombreuses hypothèses sont possibles. Il convient donc certainement de rester humble et prudent, mais néanmoins, nous remarquons que:
- les hospitalisations diminuent bel et bien depuis décembre, même si de manière lente et irrégulière;
- même si elles ne sont pas au seuil arbitraire de 75 entrées par jour, elles sont à un niveau très bas, qui ne menace nullement le fonctionnement des hôpitaux;
- en particulier, elles sont à un niveau largement inférieur aux seuils recommandés par l’OMS pour maintenir les mesures de niveau 4 dont nous discutons ici.
En conséquence, vu la dynamique positive dans laquelle se trouve l’épidémie, et conjointement à l’accroissement de l’immunité globale (due aux vaccins et à l’immunité croissante), ce ‘plateau’ ne nous semble pas une raison suffisante pour maintenir les mesures de niveau 4 et leurs dommages collatéraux.
Actions
Nous ne voulons pas polémiquer sur le passé, mais en tirer des enseignements pour débattre rationnellement de notre avenir à court terme.
L’évolution, dans chaque contexte, de l’épidémie de Covid-19 est tributaire d’une multitude de facteurs environnementaux, populationnels et comportementaux, ce qui rend extrêmement ardue la tâche d’attribuer un effet à une mesure spécifique [3]. Il ressort toutefois de cette brève analyse que les chiffres d’évolution de l’épidémie en Belgique, à la fin de la deuxième vague, ne semblent pas avoir été influencés par certaines mesures imposées à la population. Dès lors, nous appelons nos autorités à mener des évaluations plus poussées des effets (directs et indirects) de leurs mesures, ainsi que de leurs coûts, afin de pouvoir choisir celles à maintenir en priorité pour atteindre leurs objectifs de santé publique.
A cet égard, rappelons l’analyse de notre article précédent qui a mis en évidence que les mesures spécifiques de restriction prises les 26/10 et 02/11/20 correspondent au niveau 4 d’alerte maximum, tel que documenté par l’OMS ou repris dans le baromètre qui avait été proposé en Belgique par le Celeval en octobre 2020 3https://www.rtbf.be/info/belgique/detail_coronavirus-en-belgique-de-faible-a-tres-grave-voici-les-4-phases-d-alerte-du-barometre-du-comite-de-concertation?id=10610393 Niveau 1 : aucune circulation du … Continue reading.
Comme nous l’avons vu, la baisse de la courbe du taux de positivité s’est amorcée sans que la fermeture des auditoires et encore moins celle des commerces non-essentiels ne puissent en être la cause. Il est donc raisonnable de penser que, tout comme la réouverture des commerces non-essentiels n’a pas eu de conséquences sur l’épidémie, la réouverture des auditoires (avec mesures de distanciation) ne causera pas non plus de redémarrage de l’épidémie, sachant que les risques de contamination y sont très faibles.
Conclusion
Il faut bien sûr monitorer le relâchement progressif des mesures et rester vigilants, notamment par rapport aux risques de nouveaux variants, cela va sans dire. En particulier, il conviendrait de mettre en place un suivi épidémiologique systématique de la population concernée par une levée de ces mesures. Ainsi, plus de la moitié de nos étudiant.e.s sont déjà de retour sur les campus, dans leurs kots. Il nous semble donc utile d’avoir recours à un suivi précoce basé, par exemple, sur les analyses des eaux usées ou sur des tests rapides, un échantillonnage aléatoire de la population permettant de connaître la prévalence réelle de l’épidémie.
“Nous pourrions faire un test de déconfinement en tenant compte d’un risque d’effet yo-yo et en étant extrêmement réactifs dans le cas où les chiffres augmenteraient rapidement. Il ne faudrait pas hésiter à prendre des dispositions dans l’autre sens. Et si une décision d’ouverture est prise, il faut vraiment que les gens restent vigilants et ne la perçoivent pas comme un signal d’assouplissement généralisé.”
Marius Gilbert – https://www.rtbf.be/info/dossier/epidemie-de-coronavirus/detail_marius-gilbert-favorable-a-une-phase-de-test-pour-le-deconfinement?id=10689822
En particulier, en ce qui concerne l’enseignement universitaire, précisons encore que nos étudiant.e.s et nos enseignant.e.s sont prêt.e.s à passer du jour au lendemain, d’un mode hybride ou co-modal aménageant présentiel et distanciel simultanément, à un mode plus distanciel si les circonstances l’imposaient à nouveau dans les semaines à venir.
Signataires (par ordre alphabétique)
- Vinciane Debaille (ULB)
- Guillaume Derval (UCLouvain)
- Christine Dupont (UCLouvain)
- Denis Flandre (UCLouvain)
- Raphael Jungers (UCLouvain)
- Raphael Lefevere (Université de Paris)
- Quentin Louveaux (ULiège)
- Elisabeth Paul (ULB)
- Bernard Rentier (ULiège)
- Pierre Schaus (UCLouvain)
References
[1] Sciensano COVID-19 factsheet, https://covid-19.sciensano.be/sites/default/files/Covid19/COVID-19_fact_sheet_ENG.pdf .
[2] Faes, C., Abrams, S., Van Beckhoven, D., Meyfroidt, G., Vlieghe, E., & Hens, N. (2020). Time between symptom onset, hospitalisation and recovery or death: Statistical analysis of Belgian Covid-19 patients. International Journal of Environmental Research and Public Health, 17(20), 7560.
[3] Paul E., Ridde V. (2020) Évaluer les effets des différentes mesures de lutte contre le Covid-19, mission impossible ? (theconversation.com)
Notes
↑1 | Voir covidata.be. Nous prenons ici la moyenne centrée sur 7 jours pour assurer la robustesse. Pour calculer la moyenne, le nombre de tests positifs et le nombre de tests total des jours J-3 à J+3 sont additionnés pour calculer le ratio attaché au jour J, limitant ainsi les effets périodiques notamment dus aux weekends. |
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↑2 | Voir covidata.be. Nous prenons ici la moyenne centrée sur 7 jours pour assurer la robustesse. Pour calculer la moyenne, le nombre de nouvelles hospitalisations des jours J-3 à J+3 sont additionnés puis divisés par 7 pour calculer le ratio attaché au jour J, limitant ainsi les effets périodiques notamment dus aux weekends. |
↑3 | https://www.rtbf.be/info/belgique/detail_coronavirus-en-belgique-de-faible-a-tres-grave-voici-les-4-phases-d-alerte-du-barometre-du-comite-de-concertation?id=10610393
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