Petite compilation n°11 — ” La sécurisation biomédicale de la santé mondiale “

Brève revue biaisée (*) – et ‘cherry-picked’ assumée – de la littérature scientifique récente dont on ne parle pas par ailleurs.

(*) : Le terme (« biaisé ») est ironique et volontairement provocateur, afin de provoquer le débat. Il indique que nous avons sélectionné des articles d’une qualité incontestable et qui, n’allant pas dans le sens voulu par le narratif dominant, ne sont que très rarement cités, voire pas du tout, ou des articles qui opèrent un revirement considérable par rapport aux concepts qui ont dominé le champ scientifique durant la crise sanitaire de 2020-2022/23.

Épisode nº11

« The biomedical securitization of global health » – Holst, J. & Van de Pas, R., Global Health 19, 15 (2023).

https://doi.org/10.1186/s12992-023-00915-y


Covidrationnel s’est toujours attelé à défendre la nécessité d’approcher une crise complexe telle que celle du COVID-19 à travers un prisme multidisciplinaire, afin d’en aborder l’ensemble des tenants et aboutissants et d’éviter les limites épistémiques et les biais propres à chaque méthode de recherche. Malheureusement, la pandémie a été principalement abordée sous l’angle de la virologie et de la modélisation mathématique, ce qui ne reflète qu’une petite partie de ce système beaucoup plus vaste et complexe.

Cet article, écrit par deux médecins de santé publique, part du constat que la pandémie de COVID-19 a renforcé l’importance du champ de la santé mondiale 1La santé mondiale se réfère à un champ de recherches et d’actions transnationales concertées pour la promotion de la santé pour tous: Full article: What is global health? (tandfonline.com) dans l’agenda politique international. Toutefois, elle a surtout renforcé son aspect biomédical – aux dépens des aspects socio-politiques – et l’agenda de la sécurité sanitaire. Cette dernière traite de la réduction de la vulnérabilité des populations aux graves menaces qui pèsent sur la santé, notamment liés aux accidents chimiques ou radionucléraires et aux menaces épidémiques 2L’agenda de la sécurité sanitaire a été promu notamment dans le Rapport sur la santé dans le monde de l’OMS de 2007: Rapport sur la santé dans le monde 2007 : un avenir plus sûr : la … Continue reading. L’article offre une analyse narrative de la littérature sur la sécurité sanitaire en mettant l’accent sur le développement du concept actuel de sécurité sanitaire et sur la double tendance à la sécurisation et à la biomédicalisation (c’est-à-dire la focalisation sur les aspects purement biologiques de la santé, voire la maîtrise des corps par les technologies) de la santé mondiale.

Il en ressort que dans un monde de plus en plus déterminé par des asymétries de pouvoir, des structures de gouvernance inadéquates et une répartition inégale des opportunités et des ressources 3A ce sujet, voir notamment le Rapport de la Commission de l’OMS sur les déterminants de la santé de 2009: Commission des déterminants sociaux de la santé : rapport du Secrétariat (who.int), la sécurisation de la santé est devenue un élément clé de la gouvernance mondiale. La sécurité sanitaire repose principalement sur un concept qui néglige le fardeau mondial de morbidité qui est davantage impacté par les maladies non transmissibles plutôt que par les maladies infectieuses 4L’OMS estime que les maladies non transmissibles (ou chroniques), telles que les maladies cardiovasculaires, les cancers, les maladies respiratoires chroniques et le diabète, causent 41 millions … Continue reading. En outre, elle s’oriente vers des solutions biomédicales et oublie de s’intéresser aux causes profondes des crises sanitaires mondiales. Ceci est d’autant plus troublant que même une pandémie virale telle que celle du Covid-19 relève en fait d’une “syndémie”, c’est-à-dire une conjonction d’épidémies, vu le rôle essentiel qu’ont joué les comorbidités dans la sévérité du Covid-19 5Offline: COVID-19 is not a pandemic – The Lancet.

Les auteurs concluent en expliquant qu’aussi importante que fusse la sécurité sanitaire, le concept sous-jacent fondé sur le réductionnisme biomédical et technocratique n’est pas à la hauteur des défis. Il néglige largement les déterminants sociaux, économiques, politiques, commerciaux et environnementaux de la santé, qui ont pourtant été identifiés depuis des décennies comme les principaux responsables de la mauvaise santé 6Voir par exemple The Dahlgren-Whitehead model of health determinants: 30 years on and still chasing rainbows – ScienceDirect. En effet, il est estimé qu’aux Etats-Unis par exemple, les soins cliniques ne contribuent qu’à hauteur d’en moyenne 16% des résultats de santé, alors que les facteurs socioéconomiques comptent pour près de la moitié aux résultats sanitaires et les comportements, pour un tiers 7County Health Rankings – American Journal of Preventive Medicine (ajpmonline.org)! Ceci veut dire que, même en apportant des solutions biomédicales parfaites, on ne s’attaquerait pas à 84% des causes du mauvais état de santé des populations.

In fine, l’agenda de la sécurité sanitaire devrait impérativement s’attaquer à l’un de ses principaux défis, à savoir les inégalités en matière de santé au sein des pays et entre eux. Elle devrait avant tout viser à garantir le droit universel à la santé et donc mettre l’accent sur les déterminants sociaux, économiques, commerciaux 8Une récente Commission du Lancet s’est attaquée à l’épineux problème de l’impact des entreprises privées sur l’état de santé et de leur influence, souvent perverse, sur les politiques … Continue reading et politiques de la santé. Un changement de paradigme dans la manière de faire face aux menaces sanitaires, s’appuyant sur une appréhension plus globale de la santé et sur le renforcement global des systèmes de santé (par opposition à la lutte contre des maladies spécifiques) s’impose9COVID-19: time for paradigm shift in the nexus between local, national and global health | BMJ Global Health!

Notes

Notes
1 La santé mondiale se réfère à un champ de recherches et d’actions transnationales concertées pour la promotion de la santé pour tous: Full article: What is global health? (tandfonline.com)
2 L’agenda de la sécurité sanitaire a été promu notamment dans le Rapport sur la santé dans le monde de l’OMS de 2007: Rapport sur la santé dans le monde 2007 : un avenir plus sûr : la sécurité sanitaire mondiale au XXIè siècle (who.int)
3 A ce sujet, voir notamment le Rapport de la Commission de l’OMS sur les déterminants de la santé de 2009: Commission des déterminants sociaux de la santé : rapport du Secrétariat (who.int)
4 L’OMS estime que les maladies non transmissibles (ou chroniques), telles que les maladies cardiovasculaires, les cancers, les maladies respiratoires chroniques et le diabète, causent 41 millions de décès par an, soit 74% des décès: Noncommunicable diseases (who.int)
5 Offline: COVID-19 is not a pandemic – The Lancet
6 Voir par exemple The Dahlgren-Whitehead model of health determinants: 30 years on and still chasing rainbows – ScienceDirect
7 County Health Rankings – American Journal of Preventive Medicine (ajpmonline.org)
8 Une récente Commission du Lancet s’est attaquée à l’épineux problème de l’impact des entreprises privées sur l’état de santé et de leur influence, souvent perverse, sur les politiques de santé publique: Commercial determinants of health (thelancet.com)
9 COVID-19: time for paradigm shift in the nexus between local, national and global health | BMJ Global Health

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