Brève revue biaisée (*) – et ‘cherry-picked’ assumée – de la littérature scientifique récente dont on ne parle pas par ailleurs. Un point commun entre ces différents articles est qu’ils rappellent des notions de base bien connues avant 2020 concernant les virus respiratoires et la gestion de leurs épidémies. Nous souhaitons les confronter aux mesures qui ont été prises dans le cas du SARS-CoV-2, et à leurs effets. Nous soulignerons ici quelques-uns de leurs apports principaux en ce sens et laisserons nos lecteurs se forger leur propre opinion.
(*) : Le terme (« biaisé ») est ironique et volontairement provocateur, afin de provoquer le débat. Il indique que nous avons sélectionné des articles d’une qualité incontestable et qui, n’allant pas dans le sens voulu par le narratif dominant, ne sont que très rarement cités, voire pas du tout, ou des articles qui opèrent un revirement considérable par rapport aux concepts qui ont dominé le champ scientifique durant la crise sanitaire de 2020-2022/23.
Épisode nº12
« Social and clinical risk factors associated with hospitalized COVID-19 patients in Brussels’s deprived and multiethnic areas » – Racape J., Noel A.-C., Lurel J., Dauby N., Coppieters Y., Goffart J.-C. & Réa A., PLOS Global Public Health 3(7): e0002039 (2023).
https://journals.plos.org/globalpublichealth/article?id=10.1371/journal.pgph.0002039
Cette étude de patients hospitalisés pour COVID-19 dans deux hôpitaux situés dans la zone la plus pauvre de Bruxelles lors de la phase la plus précoce de l’épidémie, entre le 1er mars 2020 et le 30 juin 2020 (la correction est de nous, il n’existe pas de 31 juin) montre que « le profil social et clinique des patients diffère entre les groupes de nationalité. De plus, les facteurs de risque d’admission en unité de soins intensifs et de mortalité sont les facteurs bien connus tels que le sexe et l’âge, mais également d’autres risques liés aux conditions sociales, tels que [l’accès à] l’assurance maladie, l’obésité et l’hypertension. L’importance des déterminants sociaux de la santé a été largement décrite. Mais l’épidémie de COVID-19 a révélé et accentué les inégalités sociales de santé, d’où l’importance cruciale de collecter systématiquement des données cliniques et sociales ».
Publié le 14 juillet 2023, l’article analyse des observations très intéressantes réalisées un peu plus de trois ans plus tôt concernant la mortalité due au Covid-19 en région bruxelloise. A cette époque, les intensivistes 1Nous évoquons ici les intensivistes car à ce moment, il était fortement « recommandé » aux médecins généralistes de ne pas voir les malades mais de donner leurs consultations par … Continue reading étaient nombreux à faire la même constatation sur la relation entre le statut socio-économique des patients et leur hospitalisation. Par ailleurs, les recommandations de l’Organisation Mondiale de la Santé (OMS) en juillet 2021 faisaient apparaître cette notion 2Avis émis par le Groupe consultatif d’experts (SAGE) de l’Organisation Mondiale de la Santé en octobre 2020, mis à jour le 29/06/2021, exemple 2, page 7. dans le cadre de la définition de priorités pour la vaccination 3Remarquons que l’OMS n’a jamais envisagé de cibler les vaccinations anti-COVID sauf temporairement et pour des raisons logistiques d’approvisionnement en vaccins. Il s’agissait donc de … Continue reading.
Il est regrettable que le travail de J. Racape et ses collaborateurs, qui objective en 2023 ce qui était un ressenti 4Le terme “ressenti” est utilisé ici pour ce qui concerne les déterminants socio-économiques car l’impact majeur des comorbidités sur la sévérité de la maladie Covid-19 est, lui, … Continue reading dès mi-2020, n’ait pu être porté plus tôt à la connaissance de la communauté médicale et qu’il n’ait pu contribuer à l’élaboration d’une politique de prévention adéquatement ciblée sur les personnes vulnérables 5D’aucuns ont dit qu’un tel ciblage était impossible en Belgique car le public visé représenterait une partie trop importante de la population. Cette objection revenait à nier les qualités et … Continue reading. Ce délai de publication de 3 ans – quelle qu’en soit la raison – a malheureusement laissé s’installer une vision incorrecte de l’épidémie (réduite de son caractère extrêmement complexe à un simple binôme ‘virus-immunité’) et une médiatisation allant dans le même sens. Toute politique prévisionnelle de santé publique devra désormais impérativement tenir compte de cette complexité.
On trouve en effet dans l’article de J. Racape et collaborateurs un grand nombre d’observations qui nous ont valu de vives critiques à l’époque (et depuis lors) lorsque nous les mettions en évidence 6« Covid-19 : an extraterrestrial disease ? » (Paul E. et al., International Journal of Infectious Diseases, 25/11/2021) ; « Covid-19 et réduction du risque d’hospitalisation : pour une … Continue reading. Remercions ici les auteurs d’enfin relever et documenter ces observations précoces dans leur article dont nous traduisons en français quelques extraits (la mise en caractère gras est de notre initiative) :
- « Au cours de la première vague, les patients plus âgés n’ont pas transité par les unités de soins intensifs […]. Nous avons émis l’hypothèse d’une explication similaire pour les patients des maisons de repos de Bruxelles. Les transferts des maisons de repos vers l’hôpital n’étaient pas systématiques et souffraient de retards. Les patients sont arrivés à l’hôpital dans un état critique et n’ont pas transité par l’unité de soins intensifs ».
- « La région de Bruxelles-Capitale a présenté, lors de la première vague de COVID-19, une surmortalité comparable à celle de plusieurs grandes villes européennes comme Paris ou Londres. Différentes hypothèses ont été évoquées pour expliquer la surmortalité et la propagation des maladies à Bruxelles : une forte densité de population, un pourcentage très élevé de personnes issues de l’immigration…, avec ou sans la nationalité belge, voyageant dans et hors de Bruxelles, en raison de son rôle de capitale européenne ».
- « Une autre spécificité de Bruxelles-Capitale est sa proportion élevée de personnes âgées dans les maisons de soins, par rapport à d’autres régions. Ces établissements ont été sévèrement touchés par la COVID-19. Bruxelles est également une ville multiculturelle où une personne sur trois vit sous le seuil de pauvreté : le risque de pauvreté est donc élevé, et l’accès aux soins n’est pas non plus optimal. Une grande partie de la population bruxelloise vit dans des conditions socio-économiques précaires, qui sont liées à une mauvaise santé. Toutes ces conditions difficiles peuvent contribuer à la propagation de la maladie et aggraver son impact sur les personnes vulnérables. »
- Il est désormais clairement établi que l’âge avancé, le sexe masculin et une série de comorbidités telles que l’hypertension, les maladies cardiovasculaires, l’obésité et le diabète sont des facteurs de risque de COVID-19 grave ou mortel. Cependant, les études insistent de plus en plus sur les facteurs de risque socio-économiques. En général, les régions qui ont connu de très fortes augmentations de la mortalité ont un taux de pauvreté élevé. La Seine-St-Denis, le département le plus défavorisé de France, a connu une surmortalité de 134 % entre mars et avril 2020. Aux États-Unis, c’est la ville de New York qui a connu le plus grand nombre de décès au cours de la première vague. Des études antérieures ont également fait état de taux élevés d’hospitalisation et de mortalité dus à la COVID-19 parmi les minorités raciales/ethniques, les ménages surpeuplés et les refuges pour sans-abri ».
- « La COVID-19 a été caractérisée comme une pandémie syndromique faisant référence à l’interaction entre les maladies et les facteurs biologiques, sociaux et environnementaux qui, lorsqu’ils sont combinés, aggravent l’impact de la maladie sur une population spécifique ». Ce concept est également connu sous le nom de syndémie.
En résumé, comme discuté dans l’article : « Les différences observées dans les taux d’hospitalisation et de mortalité de COVID-19 reflètent les tendances générales des disparités raciales/ethniques en matière de santé, qui résultent des interactions complexes entre la pauvreté, l’accès aux soins de santé et les facteurs individuels, tels que les maladies chroniques, l’obésité et l’hypertension ».
Notes
↑1 | Nous évoquons ici les intensivistes car à ce moment, il était fortement « recommandé » aux médecins généralistes de ne pas voir les malades mais de donner leurs consultations par téléphone, sans auscultation, avec un remboursement forfaitaire de 20 €. Dès la mi-mars 2020, une visioconférence a été organisée par le Collège belge de Médecine Générale dans laquelle plusieurs intervenants, dont des sommités de la Société scientifique de Médecine générale (SSMG) et du Groupement belge des Omnipraticiens (GBO), donnaient des informations et des recommandations de manière extrêmement persuasive. Le message principal consistait à interdire formellement aux généralistes de voir leurs patients susceptibles de souffrir de Covid-19 et de se contenter de téléconsultations, sans visites de patients au cabinet médical ni de consultation par le médecin à domicile. De nouveaux codes de nomenclature furent alors émis, un premier pour caractériser les suspicions de COVID-19, un second pour le suivi des cas de COVID-19 et un troisième pour les autres patients suivis uniquement par téléphone. L’Ordre des Médecins a rapidement adopté les mêmes recommandations et veillé à les faire respecter (sur base de dénonciations), ce qui a donné à ces recommandations une valeur morale d’obligation telle qu’elles ont été suivies par une majorité de médecins, d’autant plus que la presse les a rapidement relayées, convainquant ainsi une grande partie du public. Les généralistes interrogés témoignent de leur sensation de véritablement ne pas avoir eu le choix, divers cris d’alarme ont été poussés. Ils se sont souvent plaints du manque de considération à l’égard de leurs revendications tout au long de la crise sanitaire (RTBF, Le Vif,…). La première ligne fut donc amputée et reportée avec un retard certain vers l’hôpital, ce qui peut expliquer l’encombrement hospitalier par de nombreux cas de complications respiratoires et cardiovasculaires. Malgré l’assouplissement des consignes lors de la 3e année, elles demeurent encore très strictes. |
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↑2 | Avis émis par le Groupe consultatif d’experts (SAGE) de l’Organisation Mondiale de la Santé en octobre 2020, mis à jour le 29/06/2021, exemple 2, page 7. |
↑3 | Remarquons que l’OMS n’a jamais envisagé de cibler les vaccinations anti-COVID sauf temporairement et pour des raisons logistiques d’approvisionnement en vaccins. Il s’agissait donc de priorités à établir dans le cadre d’une vaccination dont le caractère universel n’a jamais été remis officiellement en question. |
↑4 | Le terme “ressenti” est utilisé ici pour ce qui concerne les déterminants socio-économiques car l’impact majeur des comorbidités sur la sévérité de la maladie Covid-19 est, lui, constaté en Belgique depuis la première vague de l’épidémie, (cf. Rapport Sciensano de juin 2020). Or le lien entre comorbidité et précarité socio-économique est largement documenté et connu depuis bien longtemps en santé publique. |
↑5 | D’aucuns ont dit qu’un tel ciblage était impossible en Belgique car le public visé représenterait une partie trop importante de la population. Cette objection revenait à nier les qualités et les capacités de la première ligne médicale en Belgique qu’il eut été possible et extrêmement utile de mettre en action, et qui aurait vraisemblablement contribué à sauver bien des patients d’une issue fatale. |
↑6 | « Covid-19 : an extraterrestrial disease ? » (Paul E. et al., International Journal of Infectious Diseases, 25/11/2021) ; « Covid-19 et réduction du risque d’hospitalisation : pour une stratégie ciblée sur la base des profils cliniques des malades » (Blog du CovidRationnel, 29/11/2021) |
Merci à tous pour cet excellent article.