Version du 10 mai 2021
En Belgique, la campagne de vaccination anti-Covid-19 est organisée dans le respect du principe dit du consentement éclairé. Ceci implique que chacun puisse librement choisir d’être vacciné ou non et que ce choix soit éclairé par une information médicale à la fois complète et compréhensible, plutôt que par une incitation délibérée ne révélant pas tous ses avantages et ses inconvénients, connus ou suspectés. La rapidité exceptionnelle avec laquelle les différents vaccins anti-Covid-19 ont été mis sur le marché dès la fin de 2020, moins d’un an après l’identification du virus, constitue un exploit. Cependant, cela réduit considérablement les éléments d’information objective dont les États (et même les médecins et services de santé) disposent pour éclairer la population, contrairement aux principes selon lesquels plusieurs années sont nécessaires pour qu’une validation documentée devienne disponible. Actuellement, le public est amené à se faire vacciner sur la base d’une promesse d’efficacité vaccinale permettant à terme de se libérer des contraintes qu’impose le respect de règles sanitaires, et par l’assurance de l’innocuité des vaccins. Le fait que plusieurs vaccins soient disponibles et que les personnes qui se présentent pour la vaccination n’aient pas (ou très rarement) la possibilité de choisir leur type de vaccin de façon éclairée, comme s’il n’existait pas de différence entre les divers produits, n’est quasiment jamais évoqué.
L’objectif de ce document est d’apporter aux lecteurs le plus possible d’informations (vulgarisées autant que possible) sur l’état actuel des connaissances scientifiques dans ce domaine. Il fait le point sur ce qui est connu, et ce qui ne l’est pas, concernant les vaccins actuellement (mai 2021) dispensés en Belgique dans le cadre de la lutte contre la Covid-19. Il sera régulièrement actualisé en fonction des nouvelles connaissances émergentes.
Ce document ne vise en aucun cas à délivrer un avis médical, pour ou contre la vaccination contre la Covid-19, mais à faire un état des données et questions à discuter avec un médecin spécialisé pour établir un consentement éclairé et asseoir sa décision vaccinale.
Ce que l’on sait
Un vaccin n’est pas l’autre
En date du 26 avril 2021, il y avait dans le monde 371 candidats vaccins contre la Covid-19, 14 ayant reçu une approbation de mise sur le marché et 4 ayant reçu une autorisation d’urgence de la part de l’OMS. Les vaccins en cours de développement utilisent pas moins de 13 technologies (ou plateformes) différentes.1https://pharmanews.linksbridge.com/Covid-19
La Belgique est approvisionnée dans le cadre des accords conclus par la Commission européenne. Actuellement, quatre vaccins Covid-19 ont été approuvés par la Commission européenne et sont administrés en Belgique : les vaccins de Pfizer-BioNTech et de Moderna (à ARN messager),2https://www.nature.com/articles/nrd.2017.243 ainsi que les vaccins d’AstraZeneca et de Johnson & Johnson (à vecteur viral non-réplicatif).3https://www.info-coronavirus.be/fr/vaccination/ Plusieurs autres sont en cours d’étude en vue d’une autorisation d’urgence. Chacun de ces vaccins a ses propres caractéristiques, avantages et inconvénients. Il est donc important de les évaluer séparément.
En Belgique, en date du 10 mai 2021, 31% de la population avait reçu au moins une dose d’un des vaccins, et 9,5% en avait reçu deux doses. Si on se focalise sur les personnes de plus de 65 ans, près de 90% ont déjà bénéficié d’une première dose.4https://covid-vaccinatie.be/fr
L’efficacité (efficacy) à court terme des vaccins, selon les essais cliniques
Avant de recevoir leur autorisation conditionnelle de mise sur le marché, chacun de ces vaccins a subi trois phases d’essais cliniques, dont les résultats ont été revus par des pairs et publiés. Il faut remarquer tout d’abord que seuls les essais cliniques dits “randomisés” permettent de mesurer le degré d’efficacité d’un vaccin comparé à un placebo (ou à un autre vaccin). D’autre part, les conditions d’administration des vaccins dans les essais cliniques sont optimales, ce qui fait que la plupart du temps, l’efficacité “dans la vraie vie” est moindre (dû à des problèmes de rupture de la chaîne du froid pour la conservation des vaccins, des erreurs de manipulation, etc.). A ce stade, les essais cliniques randomisés et quelques études qui les ont suivis ont permis de montrer que:
– Deux doses de vaccin de Pfizer-BioNTech confèreraient une protection de 95% contre une Covid-19 confirmée par laboratoire chez les sujets âgés de 16 ans et plus; la sécurité (effets secondaires acceptables) à un horizon de 2 mois serait semblable à celle d’autres vaccins viraux.5https://www.nejm.org/doi/full/10.1056/NEJMoa2034577?query=TOC
– Le vaccin de Moderna aurait une efficacité de 94,1% dans la prévention de la maladie de Covid-19, y compris sa forme grave. Hormis des réactions locales et systémiques transitoires, aucun problème de sécurité n’a été identifié lors des essais cliniques.6https://www.nejm.org/doi/full/10.1056/NEJMoa2035389?query=TOC Si la “demi-vie” des anticorps (le temps pris pour diminuer de moitié la quantité d’anticorps produits) est assez limitée – de l’ordre de deux mois – il demeurait des anticorps provoqués par ce vaccin 6 mois après la deuxième dose.7https://www.nejm.org/doi/10.1056/NEJMc2103916 Il est à noter que la disparition des anticorps ne signifie pas nécessairement la disparition de l’immunité.
– Le vaccin AstraZeneca aurait une efficacité moyenne de 70,4% contre le développement de la maladie, mais cette efficacité s’élèverait à 90% lorsque les participants reçoivent d’abord une faible dose et puis une dose normale, ce qui ne semble cependant pas appliqué en pratique.8https://www.thelancet.com/journals/lancet/article/PIIS0140-6736(20)32661-1/fulltext Toutefois, ce vaccin ne protège pas contre les formes symptomatiques de Covid-19 (confirmées en laboratoire) dû au variant B.1.351 (sud-africain).9https://www.nejm.org/doi/full/10.1056/NEJMoa2102214?query=TOC 10https://www.acpjournals.org/doi/10.7326/ACPJ202105180-050
– Une dose unique de vaccin de Johnson & Johnson protègerait à hauteur d’environ 66% contre l’infection symptomatique ou asymptomatique et s’avère encore plus efficace contre les formes graves de la maladie, y compris l’hospitalisation et le décès. Sa sécurité semble être similaire à celle des autres essais de phase 3 des vaccins Covid-19.11 https://www.nejm.org/doi/full/10.1056/NEJMoa2101544?query=TOC
A titre de comparaison, une étude montre que les personnes qui ont été précédemment infectées par le SARS-CoV-2 bénéficient d’une protection immunitaire de l’ordre de 84%12https://www.thelancet.com/journals/lancet/article/PIIS0140-6736(21)00675-9/fulltext voire même de 95% pendant au moins 7 mois.13https://www.thelancet.com/journals/eclinm/article/PIIS2589-5370(21)00141-3/fulltext
En résumé, les vaccins semblent efficaces contre les infections sévères et leurs conséquences nécessitant une hospitalisation. Cependant, s’ils réduisent le risque de formes graves de la maladie, ils ne semblent pas empêcher totalement les infections, les formes modérées de la maladie, ni la transmission du virus (voir ci-dessous).
L’efficacité dans la population
Israël a été le premier pays à lancer une campagne de vaccination de masse, exclusivement avec le vaccin de Pfizer. Plus de 60% de la population a reçu au moins une dose de vaccin, et ce depuis fin mars 2021.14https://ourworldindata.org/covid-vaccinations Les résultats préliminaires montrent que dans des conditions d’administration réelles (non contrôlées comme dans le cadre des essais cliniques), le vaccin Pfizer protège contre les formes graves de la maladie. En effet, la dynamique de l’épidémie montre un net recul des hospitalisations qui s’est d’abord marqué parmi les populations plus âgées, vaccinées en priorité.15https://www.nature.com/articles/s41591-021-01337-216https://jamanetwork.com/journals/jama/fullarticle/2779185 La vaccination des personnes en maison de repos semble également y avoir été efficace contre le variant anglais.17https://www.sciencedirect.com/science/article/pii/S266637912100080X
Au Royaume-Uni, le suivi des personnes vaccinées montre une très bonne protection des vaccins contre les décès et les hospitalisations liés à la Covid-19 18https://www.gov.uk/government/news/covid-19-vaccines-further-evidence-of-success. Au Qatar également, des données suggèrent que le vaccin de Pfizer est très efficace, même contre les variants anglais et sud-africain.19https://www.nejm.org/doi/10.1056/NEJMc2104974?url_ver=Z39.88-2003&rfr_id=ori:rid:crossref.org&rfr_dat=cr_pub%20%200pubmed
Plusieurs études observationnelles dans des hôpitaux israéliens20https://www.nejm.org/doi/full/10.1056/NEJMc2101951?query=TOC, dans un hôpital américain21https://jamanetwork.com/journals/jama/fullarticle/2779854 et dans deux universités californiennes22https://www.nejm.org/doi/full/10.1056/NEJMc2101927 montrent également que les vaccins sont efficaces dans des conditions d’administration réelles, bien qu’avec une efficacité probablement moins élevée par rapport aux essais cliniques
Les effets secondaires
Les vaccins actuellement disponibles font l’objet d’une pharmacovigilance et donc d’un suivi de près des effets secondaires. Deux remarques préliminaires avant de synthétiser ce qui est connu à ce jour: (i) les données suivantes dépendent bien entendu de la volonté des patients et de leur médecin de faire remonter l’information sur les effets secondaires, leur ampleur est dès lors probablement sous-estimée; (ii) il est généralement difficile d’établir une relation de causalité entre un effet secondaire reporté (surtout grave, comme le décès) et la vaccination.
En Belgique, l’Agence fédérale des médicaments et des produits de santé publie un aperçu hebdomadaire des effets indésirables des vaccins contre la Covid-19. Au 26 avril 2021, sur 2.682.390 personnes ayant reçu au moins une dose d’un vaccin contre la Covid-19, 12.337 (=0,5%) rapports d’effets indésirables avaient été notifiés via un formulaire en ligne. Parmi eux, 3.726 rapports ont été enregistrés dans la base de données européenne de pharmacovigilance, dont 2.446 (=0,1%) rapports graves, comportant 93 (=0,003%) décès (sans pour autant avoir pu établir un lien de causalité avec le vaccin).23https://www.afmps.be/fr/usage_humain/medicaments/medicaments/covid_19/vaccins/pharmacovigilance_pour_les_vaccins_contre_la
La base de données européenne des rapports d’effets indésirables susceptibles d’être liés à l’utilisation des vaccins est consultable publiquement, voir:
- Pour le vaccin Pfizer-BioNTech: Oracle BI Interactive Dashboards – DAP (europa.eu)
- Pour le vaccin Moderna: Oracle BI Interactive Dashboards – DAP (europa.eu)
- Pour le vaccin AstraZeneca: Oracle BI Interactive Dashboards – DAP (europa.eu)
- Pour le vaccin Johnson & Johnson: Oracle BI Interactive Dashboards – DAP (europa.eu)
Il n’est pas question ici de faire une analyse détaillée des effets secondaires de chaque vaccin. Signalons toutefois que les femmes rapportent trois à quatre fois plus d’effets secondaires que les hommes – ce qui est important à garder en mémoire dans la perspective de l’appréciation du rapport risques-bénéfices, car l’on sait également que les femmes sont moins susceptibles que les hommes de développer une forme grave de la Covid-19.24 … Continue reading
Si la majorité des effets secondaires sont bénins, la littérature a tout de même déjà identifié plusieurs effets secondaires graves:
- Les vaccins à ARN messagers peuvent causer des réactions anaphylactiques graves, principalement chez les femmes, et parfois en l’absence d’antécédent allergique connu.25https://jamanetwork.com/journals/jama/fullarticle/2776557?utm_source=silverchair&utm_campaign=jama_network&utm_content=covid_weekly_highlights&utm_medium=email Ils sont aujourd’hui sous surveillance pour des cas de zonas et de myocardites. En France, l’Enquête de pharmacovigilance du vaccin Pfizer faisait état, fin avril 2021, de 513 décès rapportés par le Réseau Français des Centres de Pharmacovigilance (pour 10,2 millions de personnes ayant reçu au moins une dose). Quant au vaccin de Moderna, 21 décès avaient été rapportés fin avril, pour 1,2 millions de personnes ayant reçu au moins une dose de vaccin.26https://ansm.sante.fr/actualites/point-de-situation-sur-la-surveillance-des-vaccins-contre-la-covid-19-periode-du-23-04-2021-au-29-04-2021
- L’administration de vaccin d’AstraZeneca a été suspendue dans plusieurs pays européens (du moins pour certaines tranches d’âge) car il peut causer un type rare de thromboses veineuses cérébrales, abdominales ou pulmonaires d’origine auto-immune,27https://www.nejm.org/doi/full/10.1056/NEJMoa2104840?query=TOC clairement distinctes d’autres types plus courants de thromboses. Un rapport récent de l’Agence européenne du médicament a comparé, pour différentes tranches d’âge, les risques d’hospitalisation, d’admission aux soins intensifs et de décès, entre la Covid-19 (selon trois scénarios d’incidence de la maladie dans la population: élevée, moyenne et faible) et le risque de thromboses associées à ce vaccin. Comme on s’en doute, vu le profil de risque lié à la Covid-19, les bénéfices du vaccin augmentent fortement avec l’âge. Cependant, le rapport montre que le risque de décéder d’une thrombose provoquée par le vaccin est supérieur à celui de la Covid-19 pour les moins de 30 ans, même en cas de pic de l’épidémie, et même pour les moins de 60 ans en cas de faible taux d’infection.28https://www.ema.europa.eu/en/documents/chmp-annex/annex-vaxzevria-art53-visual-risk-contextualisation_en.pdf
- Des thromboses cérébrales ont également été signalées suite à l’administration du vaccin de Johnson & Johnson.29 … Continue reading
Ce que l’on ne sait pas
L’efficacité (effectiveness) réelle
Dans le cadre de leur développement clinique, les vaccins font l’objet d’études d’“efficacy” (dans des conditions idéales) qui visent à apprécier si le vaccin “marche”. Ces études présentent de nombreuses limites. En revanche, il est aussi essentiel d’étudier l’“effectiveness” des vaccins, c’est-à-dire leur capacité à protéger la population dans des conditions réelles.30https://pubmed.ncbi.nlm.nih.gov/9855432/
Les résultats très positifs des essais cliniques des vaccins contre la Covid-19 doivent être analysés avec attention. Ainsi notamment, pour ce qui concerne le vaccin de Pfizer, seules 8 personnes du groupe des vaccinés ont été infectées et une seule a subi une forme grave de la Covid-19, alors que 162 personnes du groupe de contrôle (ayant reçu un placebo) étaient infectées et 7 ont dû être hospitalisées.31https://www.nejm.org/doi/full/10.1056/NEJMoa2034577 La différence est considérable et explique l’annonce publique d’une efficacité de l’ordre de 95 %. Toutefois, le nombre total de volontaires ayant reçu les deux doses du vaccin ou du placebo était respectivement de 21.720 et 21.728. Ceci implique que, dans le groupe contrôle (n’ayant pas reçu le vaccin mais le placebo), seuls 7,5/1.000 ont manifesté des symptômes de Covid-19 par la suite, et 0,3/1.000 en ont sérieusement souffert… La protection vaccinale contre la maladie, pour incontestable qu’elle soit, n’a donc pu être réellement établie que pour 6 personnes sur plus de 21.000 (0,027%). Et ceci est dû, non pas à un manque d’efficacité du vaccin, mais à la très faible dangerosité du virus SARS-CoV-2 en conditions naturelles dans la population majoritairement jeune et en bonne santé qui a participé à l’expérience. Malheureusement, la proportion de personnes “à risque” dans cette étude n’est pas révélée. Seule la proportion de plus de 55 ans (42%) et la moyenne d’âge (52 ans) apparaissent.
Les mêmes observations peuvent être faites à propos de l’étude des essais cliniques du vaccin de Moderna qui annonce une efficacité de 94,1 %.32https://www.nejm.org/doi/full/10.1056/nejmoa2035389 Le manque de certitude sur ces résultats dû à l’insuffisance de partage des données a fait l’objet d’un débat dans une grande revue médicale britannique.33https://blogs.bmj.com/bmj/2021/02/05/clarification-pfizer-and-modernas-95-effective-vaccines-we-need-more-details-and-the-raw-data/
L’efficacité annoncée du vaccin d’Astra-Zeneca est nettement moindre (62,1 %) que celle revendiquée pour les deux vaccins à ARN messager. Toutefois, les deux groupes de comparaison étaient assez limités (5.807 participants dans le groupe vacciné et 5.829 dans le groupe de contrôle) et la proportion de personnes ayant développé une forme grave de la maladie ou étant décédées était très faible (1 dans le groupe contrôle, 0 dans le groupe vacciné).34https://www.thelancet.com/journals/lancet/article/PIIS0140-6736(20)32623-4/fulltext?fbclid=IwAR2zWTx86uAi8IhL5Vy_CBMs7y1xQ33ODsVeym3FVtUKdJXBx5dSJH7g6K0 On comprend facilement que les statistiques sur des petits nombres doivent être interprétées avec prudence.
La durée de la protection conférée par la vaccination
Par définition, en l’absence de recul sur les nouveaux vaccins, nul ne sait combien de temps ils conféreront une protection suffisante contre la Covid-19, ni si la protection sera efficace contre les nouveaux variants qui ne manqueront pas d’arriver, ni à quelle fréquence d’éventuels rappels seront nécessaires.
Rappelons d’emblée deux choses. Premièrement, comme indiqué par des efficacités vaccinales qui ne sont pas de 100%, un taux d’anticorps élevé ne constitue pas une protection absolue contre une possible réinfection. Même des taux d’anticorps considérés comme protecteurs ne constituent pas une garantie absolue contre une réinfection.35https://www.medrxiv.org/content/10.1101/2021.01.26.21250535v1 Inversement, une absence d’anticorps ne signifie pas un manque de protection, car l’immunité cellulaire peut prendre rapidement le relais, sans empêcher une réinfection mais en limitant sa sévérité. Deuxièmement, les coronavirus suscitent une immunité croisée forte.36https://science.sciencemag.org/content/370/6520/eabd4250 Cela signifie que s’il est possible que l’efficacité d’un vaccin donné diminue face à un variant, il reste peu probable que son efficacité devienne nulle. Rappelons que le vaccin contre la grippe réduit les risques de développer la maladie de l’ordre de 40 à 60% selon les années.{{https://www.cdc.gov/flu/vaccines-work/vaccineeffect.htm}}}
L’effet sur la réduction de la transmission
Les vaccins sont avant tout conçus pour protéger les personnes vaccinées, mais ils sont souvent présentés comme permettant de réduire la transmission du virus concerné parmi la population et ce faisant, de protéger les autres. Or, cette capacité des vaccins de réduire la transmission n’est pas encore démontrée pour le SARS-CoV-2, et ne devrait donc pas être considérée comme un acquis pour concevoir la stratégie vaccinale. En effet, les réinfections sont possibles, avec des cas souvent asymptomatiques.37https://www.nature.com/articles/d41586-021-00450-z?utm_source=Nature+Briefing&utm_campaign=72250739fb-briefing-dy-20210222&utm_medium=email&utm_term=0_c9dfd39373-72250739fb-45689842 C’est particulièrement le cas vis-à-vis des variants émergents.38https://www.nejm.org/doi/full/10.1056/NEJMoa2105000
Les interactions entre immunité vaccinale et immunité naturelle
La “qualité” comparée de l’immunité acquise par la vaccination et l’immunité innée et/ou acquise naturellement suite à une infection et/ou l’immunité croisée est encore méconnue. L’expérience acquise avec tous les autres virus et, en particulier, avec les virus à ARN et/ou ayant un taux de mutation élevé, nous enseigne que l’immunité naturellement acquise par l’infection est de loin meilleure que l’immunité artificielle obtenue par une vaccination. Ainsi par exemple, l’immunité naturelle aux virus de type influenza est en moyenne de 10 à 20 ans,39https://www.sciencedirect.com/science/article/abs/pii/S0168170211003753 alors que le vaccin doit être administré chaque année avec le variant en cours. En se basant uniquement sur le taux d’anticorps, il semble également que l’immunité conférée par une dose de vaccin Pfizer reçue après avoir subi une infection naturelle au préalable soit supérieure à celle acquise suite à deux doses de vaccin sur les personnes n’ayant pas été infectées.40https://www.nejm.org/doi/full/10.1056/NEJMc2103825?query=infectious-disease
Cependant, comme indiqué précédemment, la présence ou l’absence d’anticorps n’est pas une une indication sans faille de l’immunisation d’une personne. En particulier, la disparition des anticorps après quelques semaines post-infection n’est pas nécessairement le signe d’une perte de la capacité immunitaire. En effet, les anticorps ne constituent pas à eux seuls toute la réponse immunitaire contre la Covid-19. Les vaccins ciblent une protéine particulière (la protéine S) du SARS-CoV-2 et stimulent la production d’anticorps circulants qui, certes, confèrent une certaine protection contre les formes graves de la Covid-19 en empêchant le virus de se propager vers d’autres organes. Toutefois, d’une part, ces anticorps ne protègent pas de l’infection, ni de la transmission (ce sont principalement les lymphocytes T tueurs qui assurent une protection efficace contre la multiplication virale en détruisant nos propres cellules lorsqu’elles sont infectées). D’autre part, les coronavirus possèdent d’autres composantes (dont des glycoprotéines caractéristiques) qui sont “reconnues” par l’immunité naturelle, ce qui pourrait élargir le champ de la réponse immunitaire et ainsi procurer une meilleure efficacité face aux différents variants qui résulteraient d’une mutation au niveau du site de fixation au récepteur cellulaire (le Receptor-Binding Site, RBS).41https://www.nature.com/articles/s41586-020-2550-z42https://www.sciencedirect.com/science/article/pii/S009286742100221X 43https://www.nature.com/articles/s41422-020-00430-444https://www.nature.com/articles/s41586-020-2571-745https://www.nature.com/articles/s41423-020-00523-5 46https://www.nature.com/articles/s41422-020-00430-4
Les effets spécifiques sur différentes catégories de population
Les essais cliniques ont été menés en un temps record sur un grand nombre de personnes. Mais ils ont aussi, pour la plupart, été menés sur des volontaires adultes, jeunes, en bonne santé et exempts d’allergies connues, ce qui fait que les effets spécifiques sur différentes catégories de populations (enfants et adolescents, personnes âgées, femmes enceintes, minorités ethniques,…) sont encore moins connus. Ainsi, par exemple, une étude transversale portant sur 230 essais cliniques menés aux États-Unis comprenant en tout 219.555 participants a montré que les Noirs ou Afro-Américains, les Indiens d’Amérique ou d’Alaska, les Hispaniques ou Latino-Américains et les adultes plus âgés étaient sous-représentés, tandis que les femmes étaient surreprésentées par rapport à la population américaine, appelant dès lors à diversifier les personnes incluses dans les essais cliniques.47 … Continue reading
Plusieurs études spécifiques à des catégories d’individus sont en cours, mais elles sont encore de petite échelle:
- Les résultats d’une petite étude clinique sur les effets du vaccin Moderna sur les personnes âgées montrent que les effets secondaires notifiés étaient principalement légers à modérés;48https://www.nejm.org/doi/full/10.1056/NEJMoa2028436?query=TOC
- Les résultats préliminaires d’une étude observationnelle sur les effets des vaccins à ARN messager (Pfizer et Moderna) sur les femmes enceintes ne montrent pas de signal inquiétant particulier, vu que la prévalence des problèmes (dont des avortements spontanés, parfois en fin de grossesse) parmi les femmes vaccinées sont de l’ordre de la prévalence générale;49https://www.nejm.org/doi/full/10.1056/NEJMoa2104983?query=TOC
- Pfizer annonce des résultats positifs d’une étude de l’efficacité de son vaccin sur les adolescents50https://www.pfizer.com/news/press-release/press-release-detail/pfizer-biontech-announce-positive-topline-results-pivotal mais à notre connaissance, ces résultats n’ont pas encore fait l’objet d’une revue par les pairs.
L’efficacité des vaccins contre les variants (existants et à venir)
Certains virus mutent régulièrement, comme déjà constaté pour le SARS-CoV-2. Comme évoqué plus haut, l’efficacité des différents vaccins contre les différents variants est incertaine et doit varier en fonction des mutations.
L’effet sur l’évolution du virus
A ce stade, les effets de la vaccination sur l’évolution du virus (réduction ou au contraire amplification de l’évasion virale, c’est-à-dire l’adaptation du virus à l’humain) sont encore peu connus et, à notre connaissance, n’ont pas encore fait l’objet de publications majeures révisées par les pairs.
Les effets secondaires à moyen et long termes
Par définition également, il est trop tôt pour connaître les éventuels effets secondaires à moyen et long termes des vaccins – ceci d’autant plus que le lien de causalité avec la vaccination sera encore plus difficile à établir que pour les effets secondaires à court terme. Signalons toutefois que plusieurs types d’effets secondaires particulièrement inquiétants sont évoqués dans la littérature comme étant possibles, en particulier le renforcement de la sévérité de la maladie induit par les anticorps (antibody-dependent enhancement)51https://www.nature.com/articles/s41564-020-00789-5 52https://onlinelibrary.wiley.com/doi/10.1111/ijcp.13795?fbclid=IwAR2kUYUNhXH6MD8Ih4w_Eg1FvA73ih8G9wPM-kmaTXPgy-hOTmFnxuOD7-E de même que toute une série d’autres phénomènes immunitaires tels que l’interférence virale (plus grande sensibilité à d’autres virus) .53https://www.sciencedirect.com/science/article/pii/S2214750020304248 Plus particulièrement pour ce qui concerne les nouvelles plateformes à ARN messager, plusieurs problèmes de sécurité potentiels doivent être évalués, relatifs notamment à l’inflammation locale et systémique, à la persistance de l’immunogène à des problèmes de réactions auto-immunes.54https://www.nature.com/articles/nrd.2017.243 La survenue éventuelle de ces effets secondaires fera l’objet d’une surveillance renforcée.
Le taux de vaccination à atteindre pour obtenir une immunité collective
On entend souvent parler d’un taux de couverture vaccinale de 70% comme but à atteindre pour empêcher le virus de se reproduire au sein de la population (le GEMS parle de ‘safe heaven’). Comme bien souvent, ce chiffre est à prendre avec des pincettes. Il est en fait motivé par des modèles mathématiques représentant la progression du virus: si l’on connaît le nombre d’individus qu’un patient infecté contamine à son tour en moyenne, on peut en théorie en déduire la couverture immunitaire (qu’elle soit acquise par la vaccination ou naturellement) nécessaire afin de stopper la progression d’un virus. Néanmoins, cette idée intuitivement simple nécessite d’une part, un modèle précis de propagation du virus et d’autre part, une connaissance exacte de ses paramètres (contagiosité, période d’incubation, d’infectiosité), afin d’obtenir un calcul précis. Au vu de toutes les incertitudes citées plus haut, il est clair que ce chiffre ne peut être connu précisément a priori. Parmi ces incertitudes, citons: l’impact des variants, la contagiosité même après vaccination, le cloisonnement (par exemple géographique), l’immunité partielle, la saisonnalité, etc.
En conclusion, ce chiffre doit être considéré comme une estimation qualitative de l’objectif à atteindre, mais certainement pas comme une promesse du paradis au bout du tunnel. En outre, il est impératif que ce chiffre tienne compte de l’immunité innée et de l’immunité déjà acquise dans la population (qui est probablement plus efficace que celle attribuable à certains vaccins). Il ne devrait en aucun cas être utilisé comme un argument pour pousser à la vaccination de façon indiscriminée.
Le rapport risques-bénéfices
Le choix de se vacciner ou pas au niveau individuel, tout comme les décisions sous-tendant la politique vaccinale dans son ensemble, doivent se fonder sur une analyse des risques et des bénéfices de la vaccination. Schématiquement, cette balance doit inclure:
- Au titre des bénéfices, la réduction espérée de la morbidité et de la mortalité due à la Covid-19, pour l’individu concerné et pour sa communauté. Si les risques individuels liés à la Covid-19 (et donc, les bénéfices escomptées de la vaccination, une fois multipliés par le taux d’efficacité des vaccins) sont désormais assez bien connus – et varient considérablement selon l’âge, le sexe et les comorbidités,55voir par exemple … Continue reading ce n’est pas le cas des bénéfices pour la communauté (en termes de réduction de la transmission) qui restent incertains.
- Au titre des risques, les effets secondaires individuels à court terme (qui semblent également varier selon l’âge et le sexe, et sont spécifiques à chaque vaccin) mais aussi les effets secondaires à long terme (qui sont inconnus).
Selon l’état des connaissances actuelles, les vaccins sur le marché en Belgique semblent avoir une bonne efficacité et une certaine innocuité à court terme, ce qui fait très clairement pencher la balance en faveur de la vaccination de la population âgée et/ou avec comorbidités dont les risques de forme grave ou de décès de la Covid-19 sont plus élevés. En revanche, la question est beaucoup moins claire pour les personnes plus jeunes et en bonne santé. En particulier, les enfants et les adolescents n’ont qu’un risque minime de développer une forme sévère de Covid-19 et d’en décéder: dans ces cas, le risque vaccinal est supérieur au risque quasi nul de la maladie et le bénéfice attendu ne repose que sur l’empêchement hypothétique de la transmission, qui reste à démontrer. La situation est encore plus confuse pour les adultes (20-60 ans) en bonne santé, qui devraient réaliser une analyse risques-bénéfices plus précise, en fonction de leur situation personnelle (probabilité d’être en contact avec le virus et de le transmettre à des personnes fragiles, etc.), avec un médecin connaissant ces données et le profil médical de son patient.
Conclusion
Le vaccin constitue l’un des principaux piliers de la stratégie de nombreux pays, dont la Belgique, pour sortir de la crise sanitaire.56La politique belge en la matière est détaillée ici: https://www.info-coronavirus.be/fr/vaccination/ Toutefois, contrairement aux vaccins bien connus depuis des décennies, abondamment évalués et dont l’efficacité n’est plus à démontrer (polio, tétanos, rougeole, …) par rapport à leurs faibles risques, les vaccins contre la Covid-19 sont encore expérimentaux – en particulier ceux qui impliquent de nouvelles technologies (ARN messager), jamais testées à vaste échelle sur des êtres humains en bonne santé (des essais basés sur un principe similaire ont été réalisés dans une visée thérapeutique contre certains cancers, donc par définition sur des patients malades). Cette fiche technique, qui devra être actualisée régulièrement selon l’évolution des connaissances, a tenté de synthétiser ce qui était connu et ce qui ne l’était pas au sujet de l’efficacité et des effets des vaccins actuellement dispensés pour lutter contre la Covid-19. Elle ne peut en aucun cas être la base d’une décision individuelle de se faire vacciner ou pas, ni remplacer l’avis d’un médecin traitant.
Force est de constater qu’à ce stade, bien que les vaccins actuellement sur le marché soient très prometteurs et montrent une bonne efficacité à court terme contre les formes sévères de la Covid-19, il reste beaucoup d’inconnues quant à leur efficacité et leurs effets secondaires à moyen et long termes. Rappelons d’ailleurs que les vaccins contre la Covid-19 n’ont reçu qu’une autorisation d’urgence et sont encore tous en phase d’essai clinique de niveau IV (pharmacovigilance) jusqu’en 2022 au moins. Ceci pose d’ailleurs des questions éthiques importantes car interfère avec la suite des essais cliniques.57https://www.nature.com/articles/d41586-020-03219-y?utm_source=Nature+Briefing&utm_campaign=bbb69b275e-briefing-dy-20201123&utm_medium=email&utm_term=0_c9dfd39373-bbb69b275e-45689842 Vu les incertitudes qui demeurent, il nous paraît essentiel de bien informer les patients et les professionnels de la santé de leurs effets attendus en vue de recueillir leur consentement éclairé (c’est même une obligation légale au regard de la loi sur les droits des patients).
En tout état de cause, il nous paraît également essentiel de prendre la décision de se vacciner ou non sur base d’une balance entre les bénéfices (pour l’individu et pour la collectivité) et les risques (pour l’individu et pour la collectivité), lesquels varient bien évidemment selon l’âge, le sexe et les comorbidités de chacun.e. Cette balance paraît très positive pour les personnes âgées et/ou avec comorbidités, mais ce n’est pas le cas pour les enfants et les adolescents (d’autant plus que si la majorité des personnes à risque de la Covid-19 sont déjà protégées individuellement, les éventuels bénéfices en termes de “protection des autres” s’amenuisent encore). Quant aux adultes en bonne santé, cette balance repose sur énormément d’incertitudes; elle devrait donc être établie individuellement par un professionnel de la santé qui connaît bien ses patients, leurs antécédents, leur mode de vie et leurs risques individuels.
Nous estimons dès lors que le principe de précaution devrait s’appliquer vis-à-vis des catégories de population peu à risque de développer des formes sévères de la Covid-19 et nous interrogeons sur la politique de vaccination universelle étendue à tous. En effet, pour les enfants, les adolescents et les jeunes adultes, les effets graves de l’infection par le SARS-CoV-2 restent tout-à-fait exceptionnels et très inférieurs en nombre aux effets indésirables du vaccin (tels que les thromboses veineuses cérébrales accompagnées de thrombocytopénie, qui sont heureusement rares mais régulièrement signalées.58https://ccforum.biomedcentral.com/articles/10.1186/s13054-021-03572-y Il nous semblerait donc prudent de retarder leur vaccination à un moment où suffisamment de preuves de leur efficacité (en termes de réduction de la transmission) et innocuité à moyen terme seront rassemblées – de sorte également à sécuriser la vaccination prioritaire des personnes vulnérables, y compris dans les pays pauvres. Ce changement de stratégie et d’objectif permettrait non seulement à la Belgique de favoriser l’équité dans la distribution des vaccins (traitement égal à besoin égal) mais aussi, lui éviterait probablement une débâcle judiciaire en cas de décès avéré d’un enfant, d’un adolescent ou d’un jeune adulte des suites de la vaccination contre la Covid-19 – étant donné que les accords d’achat font peser la responsabilité des compensations des risques vaccinaux sur les États.
Enfin, rappelons que la stratégie vaccinale ne devrait pas se concevoir de façon isolée, mais en complémentarité avec d’autres stratégies (promotion de la santé, recherche de traitements précoces, renforcement du système de santé, implication de la médecine générale et de proximité lors des phases symptomatiques initiales, etc.) et prendre en compte l’immunité innée et l’immunité acquise suite à une infection.
Auteurs
- Elisabeth Paul, ULB
- Vinciane Debaille, ULB
- Bernard Rentier, ULiège
Relecteurs:
- Lieven Annemans, UGent
- Christine Dupont, UCLouvain
- Raphaël Jungers, UCLouvain
- Denis Flandre, UCLouvain
Notes