De la scientificité du GEMS *

Analyse juridique et philosophique de l’avis du 14 janvier 2022

par Marc-Antoine Gavray** & Paul De Hert***

*: Une version néerlandaise de cette analyse a été publiée le 13 avril 2002 sur le site de Controversatie.be. Il en existe également une version brève, en néerlandais, parue sur le site de DeWereldMorgen.be, le 18 avril 2022.

**: Philosophe, FRS-FNRS, Université de Liège

***: Juriste, spécialiste du Droit de la vie privée, Vrije Universiteit Brussel


Avertissement : Au moment où on annonce la recréation de feu le GEMS, probablement sous un autre nom (SST ?), sans qu’une évaluation préalable de l’action du GEMS n’ait été menée (!) et avec une composition quasi inchangée, CovidRationnel a souhaité inviter cette réflexion de M-A. Gavray et P. De Hert sur les travaux du GEMS initialement parue sur le site « No CST » de l’Entonnoir et la republier pour ses lecteurs.

Nous l’avons trouvée particulièrement stimulante et proche, sur le fond, des positions que notre groupe partage en matière d’interdisciplinarité, de prise en compte des dimensions systémiques et complexes d’un problème de santé publique, et de vision d’avenir concernant l’organisation et la gouvernance démocratique en situation d’urgence.


« La question centrale devrait […] être de savoir si une mesure est la seule possible, et donc nécessaire, dans le contexte donné, et si elle est proportionnée au risque à combattre, ce qui suppose une vision claire des dommages qu’elle peut causer (principe de proportionnalité). Ces dommages doivent d’abord être examinés par un large éventail d’experts » (Manifeste d’hiver) 1Publié le 30 décembre 2021, le Manifeste d’Hiver est le titre donné par 120 chercheurs belges à la critique qu’ils ont formulée à l’encontre des organes chargés de conseiller le … Continue reading.

1. La querelle GEMS vs le Manifeste d’hiver

Le 8 avril 2022, la Belgique a tourné une page de son Histoire, quand le gouvernement a dissous le GEMS – le groupe d’experts qu’il s’était adjoint durant la crise Covid pour le conseiller dans sa politique sanitaire. Il serait pourtant précipité de croire que celui-ci appartient désormais au passé : les organes de conseil passent, leurs écrits restent. En témoigne l’un de ses derniers avis, rendu le 14 janvier 2022, celui à l’origine du baromètre corona. Le GEMS est mort, la politique sanitaire qu’il avait initiée ce jour-là lui a survécu, puisque le baromètre régit encore notre vie. Aussi voudrions-nous regarder de plus près ce texte à l’origine de ce qui fait désormais notre quotidien et prendre le temps de le suivre au fil de ses arguments 2Pour une perspective bio-statistique, virologique et épidémiologique sur cet avis, nous renvoyons à l’analyse de Covidrationnel : … Continue reading.

Notre démarche s’inscrit dans le sillage du Manifeste d’hiver, ce moment critique où cent vingt scientifiques belges se sont prononcés en faveur d’un débat ouvert, qui accorde plus de place à d’autres approches que la virologie, l’épidémiologie ou la bio-statistique dans la gestion de la crise sanitaire 3Dans le Manifeste d’Hiver, ces chercheurs épinglent les problèmes suivants : « Une évaluation complète de l’appareil politique belge du COVID avec tous ses conseils et comités (le GEMS, … Continue reading. Cet appel public avait quelque peu émoussé la légitimité scientifique du GEMS, au point que, dans les jours qui suivirent, en réponse à ce message difficile à avaler, plusieurs membres de cet organe de conseil avaient multiplié les apparitions médiatiques afin de clarifier leur façon de travailler 4Leur principal argument consiste à dire que, bien qu’ils ne soient que vingt-deux, ils sont à l’écoute d’autres avis – une méthode informelle par laquelle ils estiment garantir la … Continue reading. Las ! Rien n’avait vraiment changé le 14 janvier 2022 : la perspective adoptée dans l’avis n’avait guère évolué, comme si la critique du Manifeste d’hiver et son appel à un débat ouvert n’avaient pas été entendus.

En tant que juriste et philosophe, nous voudrions montrer en quoi nous estimons que nos savoirs et méthodes n’étaient pas représentés dans le GEMS. Nous voudrions montrer en quoi ses avis – et l’un d’entre eux en particulier – ne répondaient pas aux exigences du droit et de l’éthique. Cela dit, nous ne voulons pas tirer sur l’ambulance (ou plutôt le corbillard). Mais à l’heure où cet organe de conseil disparaît, il nous paraît important d’en souligner les limites afin que, dans l’avenir, nous veillions à ce que le nouveau système mis en place n’en reproduise pas les erreurs.

2. Le maintien du CST dans le baromètre. Mais pourquoi ?

Depuis le Comité de concertation (Codeco) du 21 janvier 2022, la Belgique dispose d’un bel outil face au Covid-19, le baromètre corona. Ce formidable instrument politique de gestion sanitaire comporte de nombreux avantages : instauré pour une durée indéterminée, il est à la fois compréhensible et presque ludique. Il compte en effet quatre niveaux symbolisés par des couleurs et associés à des seuils épidémiques, qui permettent à chacun de connaître d’un seul regard la situation du pays et le niveau de précaution recommandé. On en viendrait presque à regretter que ce dispositif magique ait tant tardé à arriver. Presque, oui. Car aux deux étages supérieurs (niveaux deux et trois, orange et rouge), là où la situation est définie comme la plus virulente, le baromètre réserve une place centrale au Covid Safe Ticket (CST) et l’impose dans tous les secteurs qu’il réglemente : horeca, événements publics et activités récréatives. La présence de ce pass dit sanitaire dans le baromètre ne manque cependant pas d’étonner, dans la mesure où il est largement controversé, jugé discriminatoire et inefficace par certains (nous y reviendrons). Nous serions en droit de nous interroger sur la justification de son maintien.

Mais, observera-t-on, ce questionnement n’arrive-t-il pas après la bataille ? Le printemps et le passage au code jaune n’ont-ils pas signifié l’abolition du CST ? Ne nous y trompons pas et parlons plutôt de mise en veille. Désormais entré dans nos vies, le CST prend juste ses quartiers d’hiver dans un baromètre installé pour durer 5Pour le gouvernement, il y a un intérêt évident à conserver le CST : c’est probablement l’un des seuls leviers dont il dispose pour intervenir directement sur la situation sanitaire. Il peut … Continue reading. En bon père de famille, le gouvernement ne pouvait décemment pas laisser tomber le résultat d’autant d’heures de travail et d’habituation de la population.

Soucieux donc de ne pas jeter le bébé avec l’eau du bain, mais manifestement bien incapables de dépasser les déclarations de principe pour formuler des arguments justifiant le maintien du dispositif 6La ministre wallonne de la santé, Christie Morreale (PS), l’affirmait à l’approche du Codeco du 4 mars 2022 : « Ça ne veut pas dire qu’on va supprimer complètement le CST qui a été … Continue reading, les politiques se sont tournés vers les scientifiques. Pour construire son baromètre, le Codeco a ainsi pu compter sur un avis rendu le 14 janvier 2022 par son groupe d’experts en Stratégie de Gestion (GEMS), pas moins de vingt-deux scientifiques dont quelques stars des médias comme Yves Van Laethem, Marc Van Ranst ou Erika Vlieghe 7À savoir : Isabelle Aujoulat, Philippe Beutels, Caroline Boulouffe, Steven Callens, Mathias Dewatripont, Lode Godderis, Niel Hens, Tinne Lernout, Romain Mahieu, Christelle Meuris, Geert … Continue reading .

Cet avis s’étend sur cinq pages, suivies par une annexe en forme de tableau (trois pages) qui détaille les conséquences du baromètre en fonction des secteurs (horeca, événements publics, activités de groupe,…). Notre lecture, qui obéit aux canons scientifiques de nos disciplines, en suivra la structure. Comme l’avis est principalement rédigé en anglais, nous citerons les extraits tels quels, en soulignant par des italiques les passages sur lesquels nous voulons insister.

3. Un baromètre sans code vert : la crise épidémiologique permanente

Le GEMS ouvre son avis sur des considérations générales relatives au concept de baromètre. Il suit ainsi un avis du Risk Assessment Group (RAG) 8Le Risk Assessment Group (RAG) analyse le risque pour la population sur la base de données épidémiologiques et scientifiques. Ce groupe se compose de médecins épidémiologistes de Sciensano … Continue reading, qui caractérise le baromètre comme un système de gestion de crise simplifié reposant sur un éventail de mesures associées à un niveau donné. D’emblée, le GEMS souligne l’utilité d’un tel outil – pourvu que les critères soient bien choisis (« epidemiological tresholds ») – non seulement pour éviter les crises sanitaires futures, mais aussi pour garder la motivation des citoyens à adhérer aux mesures prévues pour chaque niveau. Ce qui frappe directement dans cette présentation des choses, c’est la volonté affichée de privilégier une politique qui favorise une forme de docilité de la part des citoyens.

Mais comment ce système s’articule-t-il ? Il consiste, observe le GEMS, en un niveau de départ et trois niveaux de gestion pandémique (« three pandemic management levels (1, 2, 3) and one baseline situation level (0) »). Il est donc présenté comme un modèle à quatre niveaux avec des seuils respectifs. Il est toutefois amusant de noter que tant le GEMS que le RAG oublient de définir le premier. S’agit-il d’un point de départ (ou baseline) ou bien d’un niveau avec un seuil propre, qui nous permettrait de définir à quoi correspond une situation normale (sans risque) ? À cet égard, quelle couleur convenait mieux que le vert, bien plus parlant que la ligne blanche, trop neutre, mentionnée par le RAG ? Tant le GEMS que le RAG semblent suggérer que ce niveau zéro possède son propre seuil d’application. Le RAG le présente comme « la situation “normale” (ligne de base / blanche), où il existe une circulation endémique du virus SRAS-CoV-2, avec de possibles poussées saisonnières (comme pour le virus de la grippe) », tandis que le GEMS ajoute « with which the health care system capacity can cope without imposing permanent or seasonally adjusted NPI’s ». Toutefois, aucun d’eux ne définit le niveau zéro, la situation normale en termes chiffrés, comme ils le font pour les autres 9On pourrait s’attendre à ce que la situation normale corresponde simplement à des valeurs inférieures au niveau 1 (ou code jaune) : situation épidémiologique et pression sur les hôpitaux … Continue reading.

Sans doute pouvons-nous concevoir qu’une situation verte ou « normale » ne soit pas (ou plus) définie : comment en effet objectiver la normalité dans un contexte où un nouvel agent a fait irruption et, du même coup, bouleversé tous les anciens repères ? Sur un plan épistémologique, la position paraît acceptable. Elle ne serait toutefois pleinement justifiée que si, en introduisant l’idée d’une norme inférieure sans la définir, le GEMS et le RAG explicitaient les raisons qui rendent le procédé provisoirement impossible. En l’état, la présentation paraît peu scientifique et semble davantage servir un objectif alarmiste : maintenir un état d’alerte permanent, où une menace, même jugée faible, subsiste. C’est bien de cela qu’il est question ici :

« Thresholds are a guideline to foresee when measures need to be taken or can be relaxed with the purpose of (i) avoiding large resurgence and (ii) maintaining the motivation of the population to adhere to certain measures. Thresholds may increase risk awareness (which is a driver for motivation) as they give an indication of what is perceived as ‘high risk’ and ‘lower risk’. » (p. 2)

4. L’enchevêtrement de la science et des choix politiques

Les seuils (et leur définition dans le baromètre) visent, comme l’observe le GEMS ci-dessus, à remplir deux fonctions. La première, « éviter la reprise massive de l’épidémie », n’a rien de surprenant. La seconde en revanche, que nous mettons en italiques, s’avère ouvertement instrumentaliste. Dans l’esprit du GEMS, le risque épidémiologique subsiste toujours, aussi faible soit-il, et le baromètre doit servir à renforcer la prise de conscience afin de maintenir la motivation de la population à adhérer à certaines mesures. Il constitue en cela un instrument de gestion de la population (Foucault dirait un outil biopolitique) destiné à aider les citoyens à intérioriser une culture de la réduction des risques (« install a risk reduction culture ») et à accepter les mesures que le baromètre leur impose en fonction de la situation.

C’est exactement le type de remarques que cible le Manifeste d’hiver quand il observe que « (l)es autres domaines d’expertise qui ont été impliqués (par exemple psychologique et clinique) ont toujours été instrumentalisés à des fins virologiques et épidémiologiques (ou comment peut-on motiver les gens à suivre les mesures ?) ». En l’occurrence, au-delà de son rôle épidémiologique, le baromètre et son code couleur doivent remplir un rôle psychologique, celui de rendre les mesures acceptables par la population en symbolisant le risque et surtout en gardant l’horizon d’un espoir. La finalité épidémiologique étant telle, les mesures étant données – et tout espace de débat ayant été évacué d’emblée, vu qu’aucune alternative n’est envisagée –, il fallait trouver le moyen de les faire passer auprès de la population, en évitant la perte d’adhésion observée au cours des derniers mois. Remercions la créativité du psychologue du GEMS 10Maarten Vansteenkiste (UGent) mène précisément des travaux sur les questions de motivation..

Notons que la représentation graphique du baromètre disponible sur le site du gouvernement mène à la même conclusion :

Le schéma ne comporte que trois couleurs et semble bel et bien montrer que la pandémie s’est installée pour toujours. Au mieux le pointeur reste-t-il toujours dans le jaune. Mais le citoyen doit consulter ce site officiel quotidiennement, lorsque l’alarme retentit.

Du reste, ce site officiel s’avère intéressant à bien des égards. Par comparaison avec la double fonction identifiée par le GEMS, il présente l’objectif du baromètre de façon bien plus étroite 11Plus question de former les gens à cette culture de risque : selon le gouvernement, le baromètre sert les secteurs concernés et la transparence : « Le baromètre corona se veut un outil de … Continue reading. Autre discordance avec les avis du GEMS et du RAG, il n’y a plus quatre niveaux dans le baromètre (dont l’un est introuvable), mais seulement trois : exit la promesse de revenir à une situation normale 12« Le baromètre corona comporte trois phases qui reflètent le niveau de pression sur les soins de santé : • code jaune : situation épidémiologique et pression sur les hôpitaux sous … Continue reading.

5. Le choix des mesures rendu possible par le jaune, l’orange et le rouge

Passons aux mesures impliquées par le baromètre et à leur justification. Le GEMS bombe le torse, avance d’un grand pas et, avec l’assurance d’un nous presque majestatif, confirme qu’il parle en son nom propre (en b), avant d’ajouter qu’il se limite à répondre à une demande du politique (en c) :

« b. For each of these alarm levels, we propose here a set of (generic) measures (…), based on available evidence and epidemiological rationale as displayed in our earlier advice documents.

c. Ideally, a barometer should be all encompassing, taking the epidemiologic footprint of all measures or activities for a certain management level into account, including personal life, workplace, education system, group activities, events with audiences etc…. However, with this document we respond to the actual political advice request focused on the following sectors/activities: horeca (including nightlife), events with audiences, group activities. The latter two include the sectors of sports, culture, events, religion, youth. » (p. 2)

Commençons par le « we propose » (en b). Le GEMS légitime ses propositions sur une matière aussi sensible (au sens où toutes les mesures du baromètre limitent nos libertés, d’une façon ou d’une autre) par un simple argument d’autorité (« as displayed in our earlier advice documents »). Et pas n’importe quelle autorité, la sienne, celle qu’il a patiemment construite au fil des avis précédents et qui l’autorise à se passer de nouvelles justifications. Au lecteur de vérifier si les arguments antérieurs restent pertinents (ce que nous ne manquerons pas de faire dans la suite). Et comme on pouvait s’y attendre, ce we propose est suivi d’un however (en c) :

« However, with this document we respond to the actual political advice request focused on the following sectors/activities: horeca (including nightlife), events with audiences, group activities. The latter two include the sectors of sports, culture, events, religion, youth. » (p. 3)

Entre les lignes, il faut comprendre que le GEMS se défend ici contre la critique du Manifeste d’hiver que nous venons de rappeler. En soulignant qu’il se limite à répondre à une demande du politique, il insiste sur sa nature purement scientifique et sur son rôle d’aide à la décision 13Erika Vlieghe, sa présidente, ne tenait d’ailleurs pas un autre propos dans une interview pour le magazine Doorbraak : le CST repose sur des preuves scientifiques (qu’on peine à … Continue reading. Le GEMS ne fait pas de politique, il émet des recommandations scientifiques à destination des gouvernants. Après tout, la science est neutre et désintéressée.

Difficile toutefois, à ce stade, d’évaluer dans quelle mesure l’affirmation ne relève pas de la prétérition : en disant qu’il ne fait pas de politique, mais en mettant le politique « face à ses responsabilités » tout en ne lui proposant qu’un seul modèle, le GEMS contraint la décision. En logique, cela s’appelle un faux dilemme ou une alternative plombée, selon que l’on insiste sur le fait de proposer un choix qui n’envisage pas toutes les options ou de donner à son interlocuteur l’illusion d’un choix, tout en soulignant qu’une seule option est la bonne. Sur ce point encore, le Manifeste d’hiver a incontestablement raison : une approche plus rigoureuse sur le plan scientifique supposerait de comparer plusieurs modèles possibles et, à tout le moins, d’envisager leurs implications respectives, notamment au niveau éthique et social.

Mais laissons de côté ces considérations politiques, car le GEMS avance, juste après, un point important. Tout en conservant une apparence scientifique, l’argument relève d’une approche strictement épidémiologique du problème, mais il se heurte quelque peu aux règles du droit.

« (d) When defining measures for management levels 2 and 3, it is important to realise that early intervention is essential to prevent further deterioration of the situation. » (p. 3)

Cette remarque du GEMS relève manifestement du bon sens. Pour limiter toute éventuelle recrudescence virale, la prudence s’impose : mieux vaut prévenir que guérir. Le gouvernement doit dès lors s’astreindre à un principe de prudence (ou prévention), en intervenant et en prenant des mesures aussi tôt que possible.

Ce principe de prudence ne figure cependant pas parmi les principes généraux du droit. En tant que tel, il est même inconnu en droit. Ce que reconnaît le droit, ce sont des principes de bonne administration, comme le principe de sécurité juridique (l’administré a la possibilité d’anticiper et d’évaluer les conséquences juridiques des actes posés et des comportements adoptés), le principe d’impartialité (il est interdit à l’administration de faire preuve d’un quelconque préjugé ou parti pris), le principe d’absence d’excès de pouvoir (aucun pouvoir ne peut être exercé sans avoir été conféré de façon régulière pour des fins qui n’ont pas de base juridique ou qui ne sont pas motivées par l’intérêt général) et le principe de proportionnalité (l’administration doit veiller à ce que sa décision soit appropriée, proportionnée et équitable). Dans certains domaines comme l’environnement, ce dernier principe est lié au principe de précaution. Il n’implique d’agir ni immédiatement ni préventivement. En revanche, il recommande d’attendre afin d’objectiver la situation : en cas d’incertitude sur l’efficacité ou sur les effets d’une mesure à prendre, il suppose de procéder à un examen préalable. Par exemple, s’il subsiste une incertitude sur l’inocuité de la vaccination des enfants, alors le droit préconise de s’abstenir.

6. La perspective unidisciplinaire et la proportionnalité en berne

On le voit, une approche préventive trop volontariste est difficile à concilier avec les exigences du droit 14Même la Loi pandémie, qui est censée régler et identifier les mesures de police administrative lors d’une situation d’urgence épidémique, insiste sur le respect de ces principes (Loi du 14 … Continue reading. Quant au GEMS, il justifie sa position sur une approche préventive au moyen des arguments suivants :

« (d) (…) It is thus better to apply stricter measures as soon as possible to break the curve of infections and as stated in GEMS dd. 2021/12/12, from the early stages of the pandemic, we can learn that typically, countries that implemented non-pharmaceutical interventions in the early stages of the pandemic appear to have better short-term economic outcomes and lower mortality, compared with countries that imposed non-pharmaceutical interventions during the later stages of the pandemic”. » (p. 3)

La justification du GEMS d’opter pour une approche préventive appelle plusieurs remarques. De nouveau, le GEMS se réfère au GEMS. Dans cette défense d’une approche préventive, le lecteur est invité à consulter un avis antérieur du GEMS (12 décembre 2021) et doit donc croire le GEMS sur parole quand celui-ci soutient que des pays agissant tôt avec des mesures strictes le font mieux que ceux qui hésitent ou attendent 15De nombreuses voix, chiffres à l’appui, invitent pourtant à se montrer moins affirmatif, mais le GEMS feint ici de les ignorer. Cf. Simon N. Wood, « Inferring UK COVID-19 Fatal Infection … Continue reading.

Ensuite, dans ce passage, le GEMS trahit sa perspective volontiers unidisciplinaire (en d) : les seuls effets escomptés par de telles mesures préventives concernent l’économie à court terme et le taux de mortalité. Voilà une conception bien étroite des questions de société et de santé. Les seuls aspects que l’argumentaire du GEMS prend en compte relèvent de la rentabilité et négligent totalement d’autres dimensions essentielles de la société (par exemple, les relations politiques et sociales) ou de la santé (la santé mentale et le bien-être au sens large) : un signe supplémentaire de ce que le Manifeste d’hiver appelle une « vision en tunnel » de la gestion sanitaire.

Ce qui nous conduit à la dernière remarque. Qu’est-ce que le GEMS range derrière les « interventions non pharmaceutiques » ? S’il renvoie par là à des mesures aussi contestées que le confinement 16Du moins est-ce cette mesure-là que l’Annexe 2 de l’avis du 12 décembre 2021 prend en exemple, p. 21-23., il y a tout lieu de s’interroger sur l’absence totale de prise en compte des aspects autres qu’épidémiologiques, au sens le plus restreint du terme 17À juste titre, le Manifeste d’hiver observe que « étant donné que les comités consultatifs du monde entier se sont concentrés sur les virologues, les épidémiologistes et les … Continue reading.

À nouveau, on ne peut qu’approuver la sagesse des auteurs du Manifeste d’hiver, qui répondent aux tentations de perspective unidisciplinaire par une série de principes destinés à encadrer le travail des comités consultatifs et des politiques dans un état de droit sous pression : multidisciplinarité, subsidiarité, proportionnalité, mais aussi maintien des droits fondamentaux, des freins et des contrepoids institutionnels. La combinaison de ces quatre principes montre en quoi une bonne politique de crise est aussi une politique qui tient compte non seulement du contenu, mais surtout de la façon dont se prennent les décisions 18Manifeste d’hiver : « La façon dont se prennent les décisions est importante, mais aussi ce que l’on décide ».. Signalons au passage que le GEMS n’est pas seul dans son aveuglement : en dehors de raisons comme la composition trop restreinte des comités d’experts, d’autres facteurs interviennent plus profondément encore et aveuglent d’autres acteurs de la décision. Kai Möller mentionne à cet égard les « pathologies » du discours politique et public qui ont entravé le raisonnement objectif et scientifique 19K. Moller, « The Proportionality of Lockdowns », in Aleida Mendes Borges, Sinéad Murphy, Yossi Nehushtan, and Peter Sutoris (eds.), Pandemic Response and the Cost of Lockdowns: Global Debates … Continue reading. Le Manifeste d’hiver épingle quant à lui une heuristique dite de disponibilité, un phénomène de la pensée de groupe expliquant pourquoi experts et politiques en viennent à ignorer les alternatives ou opinions critiques, pour finalement adopter un biais en faveur de mesures telles que le confinement 20« De plus, de tels conseils et comités, en particulier si leur composition reste inchangée, sont vulnérables au phénomène de la pensée de groupe. Ils visent un consensus qui conduit … Continue reading.

7. Mais au fond, c’est quoi ce principe de proportionnalité ?

Dans la section précédente, nous avons évoqué une confusion au sein de l’avis entre prudence et proportionnalité. La première est une vertu, la seconde un principe de base de notre société. Pour les auteurs du Manifeste d’hiver, il constitue même un enjeu central 21« Or, la question centrale devrait au contraire être de savoir si une mesure est la seule possible, et donc nécessaire, dans le contexte donné, et si elles est proportionnée au risque à … Continue reading : la proportionnalité est le critère utilisé par les tribunaux dans les démocraties libérales pour déterminer le caractère justifiable et légitime des éventuelles mesures répressives de l’État.

Dans le domaine des droits humains, la notion de proportionnalité est utilisée pour clarifier la nécessité d’une loi qui prévoit de limiter les droits et libertés. En démocratie, « la proportionnalité ne requiert aucune “connaissance secrète” accessible uniquement aux initiés en la matière. Elle est simplement une structure qui permet aux juges de s’engager dans le raisonnement pratique nécessaire pour évaluer le caractère justifiable d’une politique 22Kai Möller, 2022, ibid.. » Quelle est cette structure ? La proportionnalité exige (1) que les mesures étatiques poursuivent un objectif légitime, (2) qu’elles constituent un moyen approprié pour atteindre cet objectif, (3) qu’elles soient nécessaires en ce sens qu’il ne doit pas exister d’alternative moins restrictive mais tout aussi efficace, et (4) qu’elles soient « proportionnées au sens strict », ce dont l’établissement requiert un exercice de mise en balance entre la sévérité de la restriction et l’importance de l’intérêt public poursuivi 23Kai Möller, The Global Model of Constitutional Rights, Oxford University Press, 2012 (paperback 2015), p. 13-14..

Si, comme il l’affirme, il possède un immense réseau de contacts auprès d’experts divers, le GEMS ne peut ignorer ce principe de proportionnalité. Dans plusieurs avis, l’Autorité de protection des données a appliqué ce principe au CST et conclu que cette mesure, telle qu’elle a été présentée par le gouvernement belge, ne respectait pas le principe de proportionnalité. Ainsi, dans l’avis du 17 décembre 2021,

« l’Autorité rappelle que le fait pour toute personne de devoir prouver, à travers la présentation du CST, soit qu’elle a été vaccinée, soit qu’elle vient de réaliser un test qui s’est révélé négatif, soit qu’elle s’est rétablie du Covid-19 pour pouvoir accéder à des lieux et activités, y compris des lieux et activités relevant de la vie courante, constitue une ingérence particulièrement importante dans le droit au respect de la vie privée et le droit à la protection des données à caractère personnel » 24Autorité de protection des données, avis n° 245/2021 du 17 décembre 2021, « Demande d’avis concernant un avant-projet d’ordonnance relative à l’extension du COVID Safe Ticket en cas de … Continue reading. Elle continue comme suit :

« Pour que l’obligation de présenter un CST pour pouvoir accéder à certains lieux et évènements soit admissible au regard du droit à la protection des données à caractère personnel, il faut qu’il soit démontré que le recours au CST est une mesure efficace pour atteindre l’objectif légitime qui est poursuivi, qu’il n’y a pas de mesure alternative moins attentatoire aux droits et libertés qui permettent d’atteindre cet objectif (exigence de nécessité) et que la mesure représente un juste équilibre entre les intérêts, droits et libertés en présence (exigence de proportionnalité au sens strict). Étant donné l’importance de l’ingérence causé par le recours au CST dans le droit à la protection des données à caractère personnel de l’ensemble des personnes concernées, il ne suffit pas de supposer l’efficacité, la nécessité et la proportionnalité de la mesure, mais il faut pouvoir montrer, à l’aide d’éléments factuels et concrets suffisamment établis, que la mesure s’avère très vraisemblablement efficace, nécessaire et proportionnée (§6 in fine) ».

Mais ce n’est pas tout (en droit) : ce sont les autorités publiques qui doivent justifier, à l’aide d’éléments concrets et factuels, l’efficacité, la nécessité et la proportionnalité du recours au CST, et l’efficacité, la nécessité et la proportionnalité doivent être réévaluées de manière régulière en prenant en compte l’évolution de la situation sanitaire et des connaissances scientifiques y relatives (§7).

Il est vrai que le principe de proportionnalité exige un certain courage de la part des juges et autres instances en charge de contrôler qu’avec leurs mesures, les autorités publiques n’enfreignent pas les droits et libertés. Il est vrai aussi que, partout dans le monde, beaucoup de juges ont manqué de ce courage 25Eric C. Ip., « Courts, Proportionality and COVID-19 Lockdowns ». September 23, 2021. / IACL-AIDC Blog. … Continue reading Au moins les avis que l’Autorité́ de la protection des données a rendus sur le CST en Belgique attestent-ils une connaissance de ce principe. Que les 15 membres du GEMS les aient ignorés semble peu probable. Il faut donc en conclure que le GEMS n’a pas été à la hauteur de la science – et en l’occurrence de la science juridique. Réunit-il donc l’expertise nécessaire pour orienter le gouvernement dans sa politique sanitaire ?

8. Le principe de proportionnalité implique de recomposer le GEMS

Rappelons que le Manifeste d’hiver insiste pour que les organes d’experts soient reconstitués selon le modèle qui sous-tend le NICE au Royaume-Uni, avec un Comité consultatif composé de 6 à 12 généralistes aux profils variés (pas d’experts ni d’intervenants directs), y compris des juristes 26Dans le domaine médical, épidémiologique, pédagogique, économique, juridique, psychologique, social, artistique-culturel, sportif, gestion d’entreprise, organisation (de soins), éthique, … Continue reading, qui seraient nommés pour une période prédéterminée. Ce Comité consultatif aurait pour tâche de conseiller le gouvernement en s’appuyant sur des informations provenant de groupes d’experts et de parties prenantes tels que Sciensano ou le Conseil supérieur de la santé, des épidémiologistes, des virologues, des sociologues, des psychologues, des éducateurs, des économistes, des professionnels de la santé, l’industrie pharmaceutique, des artistes, le monde du sport, le secteur de l’éducation, l’industrie hôtelière, le secteur du divertissement et de l’événementiel, le secteur de la jeunesse, les partenaires sociaux, etc. Ses comptes rendus et rapports de réunion seraient librement disponibles à tout moment, sans restriction ni embargos 27Cette transparence garantit que les autres experts et les généralistes, ainsi que le grand public (éventuellement par le biais d’enquêtes en ligne régulières), soient activement invités à … Continue reading.

Tout avis de ce Comité consultatif devrait respecter une structure fixe et proposer différents scénarios que le gouvernement pourrait suivre (dont deux scénarios de base, à savoir éliminer toutes les mesures et ne modifier aucune mesure). Un chapitre serait spécifiquement consacré à leurs implications éthiques. Comme l’écrivent les auteurs du Manifeste d’hiver,

« cette structure vise à soutenir, dans la mesure du possible, une politique fondée sur les connaissances scientifiques les plus récentes concernant tous les aspects pertinents, en tenant compte de toutes les échelles de temps, et en accordant un rôle central aux implications éthiques des scénarios proposés. La science et l’éthique sont toutefois clairement séparées ». « Le décideur politique mandaté choisit l’un des scénarios proposés ou demande au comité d’experts d’élaborer un scénario supplémentaire et le défend devant le Parlement ».

Cette idée de conseiller le politique au moyen de plusieurs scénarios s’avère très riche et devrait considérablement aider les professionnels du droit à appliquer correctement le principe de proportionnalité. Répondre à des questions sur l’efficacité (la mesure constitue-t-elle un moyen approprié pour atteindre un objectif ?), la nécessité ou l’existence d’une alternative moins restrictive mais tout aussi efficace, deviendra alors plus facile. Comme le constate encore Kai Möller, la plupart des pays occidentaux ont rarement pris au sérieux les scénarios alternatifs, ce qui a appauvrit l’application du principe 28K. Moller, « The Proportionality of Lockdowns », in Aleida Mendes Borges, Sinéad Murphy, Yossi Nehushtan, and Peter Sutoris (eds.), Pandemic Response and the Cost of Lockdowns: Global Debates … Continue reading.

9. La ventilation et les vapeurs du fromage suisse, toxiques pour la proportionnalité

Dans la deuxième partie de l’avis, le GEMS envisage successivement les différentes mesures possibles : la ventilation, le CST et le port du masque. Si nous insisterons plus loin sur la deuxième, nous commençons par trois remarques sur la première. Parmi les instruments de lutte contre la propagation du virus à l’origine du Covid-19, les spécialistes s’accordent désormais sur l’importance d’équiper les espaces clos d’un système de ventilation performant, qui apparaît comme la solution la plus efficace 29Une excellente synthèse est proposée par le CovidRationnel, « De l’efficacité des aérations et ventilations pour juguler les risques épidémiologiques en lieux clos », 21/12/2021 … Continue reading. Le GEMS à son tour leur emboîte le pas :

« Given the airborne nature of SARS-CoV-transmission, the body of evidence has grown on the importance of adequate ventilation and indoor air quality as one of the most important interventions for a sustainable containment of viral circulation. Therefore, we believe that a very strong emphasis should be placed on investments to improve the air quality in all public indoor settings (including horeca, performance halls, sports infrastructure, shops, public transport, schools,…). » (p. 3)

La mesure semble si fondamentale qu’elle est devenue une évidence revenant régulièrement dans les avis, avec un accent depuis le 7 mai 2021, date à laquelle le GEMS écrivait : « The importance of ventilation should be highlighted for all indoor activities, whether already allowed, relaxed further, or opened for the first time. Even though having good ventilation everywhere is a long-term objective, its implementation and enforcement is urgent also in view of efforts to minimise resurgence of SARS-CoV-2 in autumn and winter » (p. 3). Huit mois plus tard, l’enthousiasme paraît avoir un peu diminué :

« Closely related to this, density reductions may be needed to maintain indoor air quality levels, and safe distance and mask wearing have additive importance in the ‘Swiss cheese’ approach (no single intervention is 100% perfect, hence several interventions need to be combined in high viral circulation situations). » (p. 3)

Si efficace soit-elle, la ventilation serait insuffisante à éradiquer la circulation aérienne du virus. Aussi faut-il superposer les systèmes de prévention. Pour illustrer ce point, le GEMS évoque le modèle du fromage suisse. Comme chaque mesure connaît une part de porosité plus ou moins grande, leur superposition est censée réduire les risques, chacune agissant comme un filtre différent – où chaque mesure est symbolisée par une tranche de fromage troué dont l’empilement limite les failles 30Pour un aperçu de ce modèle utilisé dans la prévention et la gestion de risques, le lecteur pourra consulter la page wikipédia..

Si le modèle est séduisant, il n’en est pas moins délicat sur le plan du droit et de la philosophie.

Tout d’abord, il faut bien comprendre que, lorsque le GEMS écrit qu’ « aucune intervention n’est parfaite à 100% », il ouvre la voie à d’autres mesures sanitaires, en diminuant la valeur respective de chacune mais sans s’embarrasser de fixer leurs valeurs relatives. L’introduction du modèle du fromage suisse permet ainsi d’écarter la ventilation comme principale mesure sanitaire, en dépit de l’efficacité qui vient de lui être reconnue. Ensuite, si on s’attarde à ce que ce modèle présuppose, du moins dans l’interprétation qu’en donne ici le GEMS, c’est de tendre à une efficacité parfaite et totale, un cumul touchant aux 100 %. Si on nous répète à l’envi que le risque zéro n’existe pas, il faut au moins s’interroger sur l’obsession à atteindre une perfection du modèle de prévention. Pour le dire autrement, le projet politique qui se dessine derrière le fromage suisse et la gestion sanitaire qui en résulte, c’est celui d’une société qui aspire à annihiler tout risque de circulation des maladies infectieuses, quoi qu’il en coûte. Un totalitarisme sanitaire, en quelque sorte, où une notion aussi vaste et complexe que la santé se voit réduite à la seule exigence de préserver la vie à tout prix.

Enfin, sur le plan juridique, force est de reconnaître que le modèle du fromage suisse ne tient pas davantage. Il s’agit d’un concept importé de la gestion du risque (risk management) qui ne convient pas au droit. Il est en effet incompatible avec le principe de proportionnalité (voir la section 7, ci-dessus), qui sert de garant au respect des droits fondamentaux. Car dans un tel modèle de superposition, l’efficacité et l’impact ne sont pas envisagés pour chaque mesure, mais pour toutes prises dans leur globalité, ce qui empêche d’évaluer si chacune est adéquate et ne contrevient pas aux principes du droit.

En droit, un raisonnement fondé sur un concept tiré du monde de la gestion de risques comme le fromage suisse peut être accepté jusqu’à un certain point. Mais plus une mesure individuelle restreint la liberté, et plus on s’attend à ce que son effet sur la circulation du virus soit fort et démontrable. Dans le cas de mesures relativement inoffensives, telles que le port du masque, le principe « si cela ne sert à rien, au moins cela ne fait pas de tort » qui se cache derrière le fromage suisse semble plus facilement acceptable. Mais dans le cas d’une mesure comme le CST, la situation est tout autre. C’est donc à juste titre que l’Autorité de protection des données a exigé davantage d’éléments concrets et factuels pour justifier l’efficacité, la nécessité et la proportionnalité du recours au CST (voir la section 7, ci-dessus).

10. Le CST et la réécriture de l’histoire

Le GEMS arrive ensuite (enfin !) au CST, sa pièce maîtresse, et commence par raconter une petite histoire, celle de son entrée en vigueur progressive en Belgique, qui est un peu aussi l’histoire du GEMS :

« The CST, a composite certificate of status on vaccination/recent infection/negative test was originally implemented as a transitory measure during the first vaccination campaign. In our GEMS-advice dd. 19/5/2021, we recommended its use for high risk large scale gatherings where NPIs are not likely to be respected at all times (e.g. large festivals), in order to select audiences with the lowest infection risk. In a subsequent advice dd. 18/8/21, we suggested broadening its use for at-risk activities such as mid-sized events, night life, student life, fitness/sports clubs,…, where the motivation should be to reduce the risk and install a risk reduction culture. The CST was applied for nightlife on October 1, then extended to horeca and all kinds of events on October 15 in Brussels and on November 1 elsewhere in Belgium. » (p. 4)

Dans cette reconstitution rapide, l’histoire compte quatre moments : 1) la recommandation de l’usage du CST pour les rassemblements à haut risque et de grande ampleur (avis du 19 mai 2021) ; 2) la recommandation de son extension pour les activités à risque en général (avis du 18 août 2021) ; 3) l’application du CST pour la vie nocturne, le 1er octobre 2021 ; et 4) son extension à l’ensemble du secteur horeca et événementiel, le 15 octobre 2021 à Bruxelles, puis le 1er novembre dans le reste de la Belgique. Or ce qui importe dans ce découpage, ce sont les deux chapitres liminaires : le prologue, où le CST est présenté à l’origine comme une mesure transitoire, et l’épilogue (le baromètre), où il fait désormais partie des meubles. À lire la chronologie, il ressort que la flèche du temps n’a qu’un sens : celui d’un accroissement des limites du CST. Dans ces conditions, toute réévaluation (à la baisse) devient inenvisageable, parce qu’elle apparaît comme un insupportable retour en arrière. On n’arrête pas la marche de l’histoire. Voilà le type de position que dénonce le Manifeste d’hiver, quand il reproche au GEMS de tomber dans le « sophisme du coût irrécupérable » ou « sophisme du Concorde » : le renforcement de mesures telles que le CST tient de la fuite en avant, sans qu’aucun regard en arrière ne soit possible 31Sur ce point, l’avis rejoint la position des politiques que nous évoquions dans la section 2 – à cette différence près, surprenante, que le GEMS exprime des regrets, comme nous le verrons … Continue reading.

Ce que le GEMS dissimule encore dans sa présentation des événements, c’est le rôle qu’il a joué dans l’extension du CST à l’automne 2021 (l’application du CST pour la vie nocturne, l’application à l’ensemble du secteur horeca et événementiel, à Bruxelles, puis dans le reste de la Belgique). C’était pourtant la conclusion, en grasses, de son avis du 22 octobre 2021, énoncée sur la base d’un paralogisme naturaliste. On peut en effet y lire un peu plus haut que « The application of the CST should be broadened to other regions and high risk / multiple contact sectors (e.g. horeca) to ensure measures are aligned between regions and countries to avoid an island (waterbed) phenomenon. » Autrement dit, dans la mesure où nos voisins l’imposent, nous devons le faire, sans davantage de preuves ni d’examen de l’efficacité réelle de la mesure. Or, par ses recommandations successives, le GEMS a largement contribué à développer le volet belge de ce qui devait être au départ un outil destiné à faciliter la circulation des personnes au niveau européen et à re-féderaliser la Belgique (le GEMS semble ne pas aimer la fédéralisation et la possibilité sous-jacente de mener des politiques de santé différentes). Comme il s’agit du dispositif dont les effets politiques sont les plus patents, il est à nouveau difficile d’admettre la conclusion du GEMS quand il prétend ne pas faire de politique.

11. Un double argument paternaliste pour maintenir le CST

Mais revenons à la chronologie. Au départ, le CST ciblait seulement « les rassemblements à haut risque et de grande ampleur » et visait à « sélectionner les publics au risque d’infection le plus faible ». Cette phrase mérite toute notre attention, car ce dont elle parle, ce sont les grands festivals (Tomorrowland et Pukkelpop), connus pour attirer un public jeune. À l’automne, c’est d’abord aux boîtes de nuit que le CST s’est ensuite imposé, dont le public aussi se caractérie par sa jeunesse. Autrement dit, en recommandant l’application du CST dans ces secteurs, ce sont les jeunes qui étaient visés. Or, ce qui caractérisait la plupart des jeunes à ce moment de l’épidémie et de la campagne de vaccination, c’était le fait de ne pas être encore vaccinés. Conclusion : il fallait les protéger des risques d’infection. Mais ce que ce raisonnement oublie insidieusement de rappeler, ce sont ses deux prémisses implicites, fausses toutes les deux, sur la notion de risque.

La première concerne les jeunes, envisagés en tant que public à risque. Nous le savons depuis le début de la pandémie, si les jeunes constituent un groupe où le virus circule abondamment, ils forment aussi celui où le risque de développer une forme sévère ou de mourir des suites de la maladie est le plus bas, de très loin 32En Belgique, d’après les chiffres publiés par Sciensano (consultés le 3 mars 2022), sur un total de 30 217 décès liés au Covid et recensés depuis mars 2020, seuls 187 concernaient des … Continue reading. Si risque il y avait pour le public des festivals, ce n’était probablement pas de s’y rendre sous peine d’y rester. Juger à risque ces événements sans tenir compte de leur public, c’était commettre un sophisme de composition, c’est-à-dire attribuer à l’ensemble de la population une propriété valable pour seulement une partie (un risque potentiel face au Covid).

La seconde concerne la nature du risque : l’objectif du CST n’était peut-être pas de limiter les décès ou les hospitalisations, mais le nombre de contaminations. En tant que dispositif fondé sur la vaccination, et à titre subsidiaire sur le résultat d’un test négatif, le CST ne permet pas en réalité d’éradiquer les infections. Au moment de rédiger ses avis de l’été 2021, le GEMS ne pouvait ignorer les résultats des premières études en ce sens. Le CST, dès le départ, n’était peut-être pas si safe. Si son but n’était dès lors ni de sauver les jeunes contre un danger qu’ils ne couraient pas, ni d’annihiler les contaminations, pourquoi fallait-il l’imposer ? C’est à ce stade qu’intervient la suite de la chronologie. En étendant la sphère des lieux à risque et, du même coup, des personnes concernées par le CST, ce que le GEMS recommandait, c’était de protéger les non-vaccinés contre eux-mêmes en les excluant. Ce qu’il recommandait donc implicitement, c’était une obligation vaccinale déguisée rapidement généralisée à l’ensemble de la population, en partant ainsi d’une mesure d’abord imposée à la catégorie qui en avait le moins besoin. Une telle attitude relève certainement du paternalisme (il faut protéger ces gens incapables de se protéger eux-mêmes), éventuellement acceptable quand elle provient d’un gouvernement, mais certainement pas quand il s’agit d’un groupe d’experts duquel on serait en droit d’attendre une approche scientifique rigoureuse. À tout le moins, on aurait attendu de la part d’un groupe d’experts qu’il s’abstienne ou, mieux encore, qu’il mette en évidence les présupposés et implications éthiques d’une telle mesure.

12. Quelques balivernes, ou pourquoi le GEMS n’aime pas le CST

Le plus surprenant est de découvrir que le CST, le GEMS lui-même n’en est pas convaincu.

« Unfortunately, its use was often interpreted by the organisers and participants as a ‘proof of 100% safety’ and was associated with excessive confidence in vaccination and the abandonment of all other measures (e.g. mask wearing, distance keeping,…) in Flanders. This has led to a societal false sense of security, and subsequent numerous infections following events, gatherings and group activities. In addition, implementing the CST did not have a significant effect on the vaccination rate e.g. in Brussels and the negative impact on social cohesion is evident. In addition, the CST represents a real difficulty for the 40% of Belgians who have low digital skills, people who do not have a suitable phone (the Covidsafe app requires advanced software) and people who, for financial reasons, have very limited access to the internet (and 3G or 4G).The effects on the local economy in neighbourhoods where the vaccination rate is low (horeca for eg.) would benefit from being documented. » (p. 4)

« Unfortunately » : le GEMS feint de découvrir ce que juristes, philosophes, anthropologues, sociologues, psychologues, économistes, biostatisticiens, virologues ou épidémiologistes lui scandent depuis des mois. Mais comment auraient-ils mieux formulé les choses, d’une façon si économique et si claire, qui ne s’embarrasse ni de fioritures ni de notes de bas de page ? À bas le CST, qui a créé un faux sentiment de sécurité et favorisé la multiplication des contaminations. À bas le CST, qui n’a pas suscité l’augmentation escomptée de la vaccination à Bruxelles et a eu un impact négatif sur la cohésion sociale. À bas le CST, qui a accentué la fracture numérique et a eu des effets désastreux sur l’économie locale dans certains quartiers. À bas le CST, qui n’a pas rempli sa mission dans la lutte contre la propagation du Covid-19. Quod erat demonstrandum.

13. Trêve de balivernes, this is not a ‘Belgian epidemic’

Mais la suite présente une surprise que ce réquisitoire sévère ne laissait aucunement présager. Après avoir dressé le catalogue des raisons de retirer le CST du baromètre, le GEMS prépare le terrain pour mieux faire passer sa pilule (‘nous voulons garder le CST dans le baromètre’) :

« Unfortunately, (…)

It is therefore once again necessary to emphasize that : (i) there is no single ‘magic bullet’ when significant virus circulation is a challenge, neither testing, nor recovery nor vaccination ; (ii) depending on the activity, multiple lines of defence are needed ; (iii) any measure that reduces personal freedom should be stopped whenever concerns about health impact and health system functioning allow for it.

Finally, this is not a ‘Belgian epidemic’. It is therefore natural to be consistent with European rules in terms of the definition and duration of covid passes. They also will need to be at least technically maintained to enable both leisure and business travel continuity, likely at least throughout 2022. » (p. 4)

Les quatre idées reprises ici ont clairement pour fonction d’atténuer les réserves qui viennent d’être émises.

— Partant du fait que le CST présente de nombreuses limites, les deux premières, (i) no single magic bullet et (ii) mutiple lines of defence needed, réaffirment la nécessité de penser la gestion de risques sanitaires dans les termes du « fromage suisse » : en l’absence de solution miracle, il faut adopter un modèle composite, où les failles respectives des diverses mesures se compensent réciproquement. Mais en l’absence surtout d’une comparaison entre les bénéfices et les failles de chacune des mesures, dans une perspective qui continue à les envisager en bloc, on peut facilement conclure, et en toute hâte, que tout est bien… même si c’est mauvais. Cela dispense de songer à des alternatives, voire d’évacuer un des éléments parce qu’il aurait été jugé inefficace ou nuisible. Nous avons vu ce qu’impliquait cette vision des choses sur le plan éthique et juridique, nous n’y revenons pas.

— La troisième prémisse, sur la protection de la (iii) personal freedom, est également de nature à rassurer. On l’a entendue à souhait dans la bouche des politiques : « Pas un jour de trop ! » pour des mesures qui limitent les libertés individuelles 33Les journaux ont relayé des tweets des ministres régionaux de la santé : « « Pas un jour de trop! »: Christie Morreale et Alain Maron veulent suspendre le CST en Wallonie et à Bruxelles … Continue reading. Le GEMS n’a pas l’habitude de se soucier de l’impact de ses propositions sur les droits et libertés. S’il le fait ici, c’est en un sens pour avancer implicitement, et sans argument, qu’en dépit de ses défauts, le CST avait jusqu’ici sa nécessité.

— Enfin, et quatrième prémisse, il y a l’Europe ! On apprend qu’il ne s’agit pas d’une épidémie belge, ce qui implique de rester cohérent avec les mesures prises au niveau européen. L’argument est pour le moins spécieux et mérite d’être déplié. Tout d’abord, il postule une rigidité du système européen, alors que celui-ci est sans cesse amené à évoluer en fonction des décisions des États membres. Ensuite, il omet de rappeler qu’en lançant le pass, l’Europe visait avant tout à faciliter la mobilité intra-européenne et ne recommandait aucunement d’ajouter un dispositif national à un dispositif européen doté de ses propres motivations. L’Union européenne n’a jamais imposé aux États membres l’usage du pass que plusieurs ont décrété, la Belgique en tête. Elle l’a simplement permis. Enfin, la conclusion de ce paragraphe, selon laquelle il faudrait au moins maintenir le dispositif sur le plan technique, ne repose une fois de plus sur aucun argument et relève d’un simple postulat. Dans tous les cas, une décision européenne de maintenir le système pour faciliter les voyages internationaux n’impliquerait en rien de conserver ses volets nationaux pour les activités de loisir ou de travail à l’intérieur des États eux-mêmes. En conclusion, l’argument que nous nommerons ad Bruxellas (« tout cela, c’est à cause de Bruxelles ! ») ne peut servir de justification à un maintien du CST tel qu’il est appliqué en Belgique. C’est simplement un sophisme de plus dans une argumentation déjà fort chancelante.

« Unfortunately, (…)

It is therefore once again necessary to emphasize that (…)

It is therefore important to revise the possible use and positioning of such a certificate, while keeping the current CST measures in place until a new solution has been found. » (p. 4)

14. Après les balivernes, sauver et renforcer le CST (‘a new solution’)

Deux therefore’s, le deuxième étant le plus énigmatique. « Therefore », par conséquent : quelle belle façon d’introduire un non sequitur. Vous ignorez comment récupérer une thèse qui a du plomb dans l’aile ? Affirmez que la suivante en est la conséquence logique, sans vous embarrasser de ce qu’elles s’excluent réciproquement. En effet, garder le CST en l’état, même provisoirement, peut difficilement s’accorder avec toutes les réserves qui ont été formulées à son encontre. Pour soutenir la conclusion, on aimerait dès lors lire d’autres arguments que « c’est la faute à l’Europe ! ». À dire vrai, les arguments, il y en a, mais ils arrivent seulement maintenant sous le nom de « considérations ». Soulignons d’emblée que formuler une conclusion avant ses justifications est une façon peu scientifique de procéder : en science, on ne met pas la charrue avant les bœufs.

« It is therefore important to revise the possible use and positioning of such a certificate, while keeping the current CST measures in place until a new solution has been found. We have the following considerations: » (p.4)

Regardons successivement ces considérations – qu’il faut donc plutôt comprendre comme des arguments pour renforcer le CST.

« 1. [Première consideration] It is not opportune to lump together 3 medical settings which are epidemiologically not equal: vaccination status (solid protection against severe disease, but much less so against infection and transmission), recent infection (e.g. recent infection with Delta does not protect sufficiently from Omicron infection) and negative test (only information on possible contagiousness, with limitations of false negative/positive tests). Vaccination status gives information on the individual and health care impact of a possible infection, but much less so for contagiousness. » (p. 4)

Le GEMS souligne à nouveau l’inadéquation du CST, au motif cette fois qu’il regroupe des indicateurs inégaux sur le plan épidémiologique. Sur le plan rhétorique de l’argumentation, on peut observer que les critiques qu’il adresse entre parenthèses aux trois marqueurs réunis dans le CST sont elles-mêmes de nature et de valeur inégales, parce qu’elles ne visent pas les mêmes aspects. Pour le dire familièrement, elles parlent de la couleur des pommes et du goût des poires, avant de tenter de les comparer.

S’agissant du statut vaccinal, commençons par noter que le GEMS souligne la solidité de la protection du vaccin, et pas du statut vaccinal lui-même. Il resterait à établir qu’on parle de la même chose, ce qui est discuté par le GEMS lui-même, comme cela transparaît régulièrement dans ses avis depuis le 14/11/2021 : on peut en prendre pour indice la réserve émise à l’égard du schéma vaccinal à deux doses, désormais jugé incomplet, par rapport à un schéma à trois doses. Relevons aussi que le GEMS observe l’insuffisance du vaccin à protéger des infections et de la transmission, sans autre remarque. Il le répète d’ailleurs à la fin du paragraphe.

Ensuite, à propos de l’infection récente, c’est-à-dire du rétablissement – et donc d’aspects qui relèvent de l’immunité naturelle –, le GEMS se montre très critique : une infection par Delta ne protégerait pas suffisamment contre Omicron. Argument d’autorité là encore, qui se passe de preuves scientifiques (c’est-à-dire de renvoi à des études ou à des chiffres en ce sens). De plus, s’il semble parler de la même chose et autoriser la comparaison avec le statut vaccinal, le GEMS ne parle ici que d’infection, sans rien dire de la protection contre les formes sévères. Or, en l’état, c’est exactement le reproche qu’il vient d’adresser au vaccin. Mais dans le cas de l’immunité naturelle, il le présente comme un défaut rédhibitoire.

Enfin, au sujet des tests, il déplore qu’ils se limitent à fournir une information sur les risques de transmission, avec les aléas des « faux ». À lire les critiques formulées entre parenthèses, en particulier les réserves quant à la protection contre la transmission, tant pour le vaccin que pour le rétablissement, la seule conclusion logique qui s’imposerait, du moins sur le plan épidémiologique sur lequel le GEMS prétend se situer, serait de préconiser une intensification des tests, dans un objectif de contrôle de la circulation du virus. Ce n’est pourtant pas l’option qui sera retenue dans les considérations suivantes.

« 2. [Deuxième considération] It is therefore better and more transparant to evolve towards (1) a proof of vaccination (‘1G’), as a proxy for personal protection against severe disease and (2) a proof of a negative test (RAT) as a proxy of low/no contagiousness. » (p. 4)

« Therefore », once again : la conjonction qui doit désormais nous alerter de la présence d’un non sequitur. Sur la base de critiques incomplètes, insuffisamment justifiées et situées sur des plans différents, le GEMS plaide pour la transformation du CST en un véritable certificat de vaccination (1G). Depuis des mois, le ministre de la Santé Franck Vandenbroucke ne laissait aucun doute sur le fait que le CST équivaudrait à terme à une véritable obligation vaccinale34Karin Verelst, « ‘Algemene verplichte vaccinatie, onder welke vorm dan ook, vindt in België geen enkele rechtsgrond‘ », Knack, 2/02/2022, édition en ligne consultée le 22/02/2022.. Le GEMS lui fournit ici une caution scientifique, mais sans l’once d’un argument.

« 3. [Troisième considération] Nevertheless, the use of a vaccination certificate with or without a negative Rapid Antigen Test (RAT) could have a role to reduce the risks of superspreading events and subsequently accelerated spread of virus with a disproportionately large impact on disease burden with particularly high epidemiological risk (e.g. nightlife, mass gatherings, horeca, culture, other activities incompatible with good ventilation and/or mask wearing) and could be of use in future ‘transition’ periods between adjustments of vaccination programmes (e.g. adapted to a new VOC). Their application however can only be a complement and not a substitute for other preventive interventions such as adequate ventilation and/or the use of masks until the epidemic subsides, and affordability of the tests remains an important incentive for their use. » (p. 4-5)

Décidément, le GEMS n’aime pas les boîtes de nuit ni les rassemblements de masse, qu’il place en tête des événements à risque. Si on pouvait encore lui accorder le bénéfice du doute sur ce point au moment du lancement du CST, l’ambiguïté qu’il maintient autour de la notion de risque est regrettable35Nous renvoyons sur ce point à notre section 10..

« Nevertheless », néanmoins : cela change un peu du « par conséquent », mais l’effet revient pratiquement au même. À chaque fois, il s’agit de tirer abusivement une conclusion contraire à celle qui résulte logiquement des prémisses précédentes. Pour paraphraser le raisonnement : « on a admis qu’un certificat fondé sur un test semblait être une option valable, néanmoins nous recommandons de privilégier seulement une preuve de vaccination ». En logique, se servir de la répétition d’une même affirmation (« il faut vacciner ») au titre d’argument, cela s’appelle justement un sophisme de la répétition ou argumentum ad nauseam.

Quant à la conclusion du paragraphe – il faut privilégier des mesures comme la ventilation, le masque et les tests bon marché et utiliser le pass sanitaire à titre complémentaire seulement –, si elle est cohérente par rapport aux critiques formulées plus haut (« Unfortunately… »), elle est aussitôt contrebalancée par ce qui suit. Dans ces quatre considérations, on observe donc le schéma argumentatif suivant : 2 oblitère les réserves de 1 et 4 celles de 3, sans jamais avancer aucun argument. En effet,

“4. [Quatrième considération] The use of a vaccination certificate versus a broader vaccination mandate is the subject of a societal and political debate and goes beyond the mandate of this advice. (p. 5) »

Formellement, le GEMS témoigne ici d’une intégrité scientifique la plus totale. Il n’est pas de son ressort d’évaluer la nécessité d’une politique vaccinale. Cette apparente neutralité cache pourtant deux postulats qui biaisent la liberté de la décision politique. D’un côté, le GEMS propose une alternative tout à fait obscure entre « l’utilisation d’un certificat de vaccination » et « un mandat de vaccination plus large ». Si le premier terme est clair, le second l’est moins. Faut-il entendre par là le fait de rendre la vaccination obligatoire, de l’étendre aux enfants de moins de cinq ans, d’ouvrir à la quatrième dose ? Une telle imprécision à ce stade et dans un cadre scientifique laisse pantois. De l’autre côté, il en résulte qu’à travers cette alternative, le GEMS se prononce, fût-ce implicitement, en faveur de la vaccination la plus large possible – sans n’avoir fourni ici aucun argument. Encore une fois, nous sommes obligés de conclure que le Manifeste d’hiver avait raison sur ce point.

15. Conclusion : le GEMS n’est pas pluraliste sur le plan scientifique

L’avis rendu le 14 janvier 2022 suit une ligne de conduite très simple : le GEMS ne fait pas de politique ; le baromètre est une excellente chose ; bien que controversé, le CST doit y être intégré car, même si rien ne marche réellement, tout peut aider ; même s’il refuse de se mêler de politique, le GEMS suggère de convertir le CST en un certificat de vaccination ; il faut en effet protéger les non-vaccinés d’eux-mêmes, car ils risquent de se nuire en participant à des événements publics.

Nous l’avons vu, cet avis se caractérise par un manque de rigueur dans ses raisonnements, par l’obscurité de sa méthode argumentative, par une ambiguïté sur le statut de ses hypothèses, arguments et conclusions, par une confusion entre science et politique, enfin par une absence d’autocritique en ce qui concerne des positions soi-disant non politiques. Tous ces écueils se retrouvent d’ailleurs à travers les interventions des membres du GEMS dans la presse : un amalgame d’arguments, souvent peu étoffés, sans chiffres ni référence à l’avis lui-même – un avis qui, comme nous avons tenté de le démontrer, ne raisonne pas bien. Argument d’autorité, faux dilemme, alternative plombée, sophisme du coût irrécupérable, paralogisme naturaliste, sophisme de composition, paternalisme, hypothèse non démontrée, argument « ad Bruxellas », non sequitur, amplification rhétorique, sophisme de la répétition et argument ad nauseam : voilà au fond de quoi est faite la « démonstration » à la base de cet avis.

On peut sans doute entendre les regrets formulés par le GEMS, qui s’excuse souvent pour le manque de temps et l’urgence qui expliquent ses avis dépourvus de références scientifiques. Mais, en l’occurrence, s’agissant d’un avis sollicité en vue de mettre en place une politique à durée indéterminée, dans un contexte où l’idée du dispositif imaginé planait dans l’air depuis plusieurs mois, l’excuse paraît difficile à accepter. L’avis déçoit sur tous les fronts et à bien des égards rend justice aux critiques des scientifiques réunis derrière le Manifeste d’hiver.

Ce manifeste a en effet mis le doigt sur un double problème. D’une part, le GEMS n’est pas pluraliste sur le plan scientifique. La présence d’un psychologue, par exemple, n’aboutit pas à un apport substantiel de la psychologie. D’autre part et surtout, le GEMS a un usage utilitariste de ces autres savoirs. Une fois encore, la présence de ce psychologue sert avant tout à introduire dans les avis des recommandations en vue de façonner l’opinion afin de mieux faire passer des arguments – en faveur de la vaccination ou autres.

Avec cette contribution, nous avons voulu nous aussi souligner à quels endroits l’absence d’un juriste et d’un philosophe dans ce comité se faisait ressentir. L’avis lui-même, au fond, n’est qu’un détail pour notre propos. Avec un juriste et un philosophe en son sein, le GEMS aurait probablement évité plusieurs écueils. Il aurait certainement davantage respecté les règles les plus basiques de l’argumentation, celles qu’on enseigne au premier cycle des études en philosophie ou en droit. Enfin, il se serait bien gardé d’employer des arguments comme le fromage suisse en négligeant totalement leur impact dans un état de droit – un argument utilitariste qui ne tient aucun compte du rôle que joue le principe de proportionnalité, pourtant jugé indispensable pour préserver les droits humains.

Tout cela nous rappelle un article récent de Bart Brinckman, dans le Standaard36Bart Brinckman, « De verplichte vaccinatie is van de baan », De Standaard, 05/02/2022, édition en ligne consultée le 8 février à 15h26.. Après avoir suivi la pandémie de près pendant des mois, l’audition des trente-deux experts entendus par le Parlement au sujet de la vaccination obligatoire (début février 2022) devait éveiller en lui les quatre leçons suivantes, d’ordre éthique et juridique :

1) si la vie privée n’est jamais absolue, il appartient au Parlement de veiller au respect des droits humains,

2) sur le plan juridique, une obligation vaccinale serait très difficile à mettre en œuvre en accord avec le principe de proportionnalité,

3) des scientifiques, comme l’anthropologue Heidi Larson qui a étudié le sujet sur le terrain, estiment qu’il est déjà trop tard et que cela ne marchera pas : les gens ont besoin de sentir que le gouvernement se soucie d’eux, mais pas à l’aide d’une seringue dans le bras, enfin

4) les intervenants se sont accordés pour rejeter l’usage du CST comme moyen détourné d’imposer la vaccination, sur la base d’arguments éthiques.

Il est tout à fait frappant qu’un journaliste plongé dans ces questions découvre ces problèmes à ce stade de la pandémie. Il est tout à fait regrettable qu’il ne s’en soit pas rendu compte plus tôt. C’est à cela, selon nous, que devraient contribuer les avis rédigés par un groupe officiel d’experts mandatés pour guider la politique sanitaire de ce pays. Unfortunately, ce n’est toujours pas dans cet avis du 14 janvier 2022 du GEMS que des Bart Brinckman peuvent trouver quelques éclaircissements sur ces questions.

16. Une touche d’espoir en guise d’épilogue

Devons-nous nous réjouir de la dissolution du GEMS ? Tout dépend de ce que nous réserve l’avenir. En cas de recrudescence majeure du coronavirus, les conseils émaneront désormais d’une cellule de crise intégrée au SPF Santé Publique : un nouvel organe, tout beau tout chaud. Mais en réalité, comme l’annonce Marc Van Ranst, l’ancien virologue de proue du GEMS, « ce sont les mêmes personnes qui seront entendues ; il n’y a pas tellement de choix en Belgique ». There is no alternative : voilà que cette bonne vieille TINA vient encore nous vanter les mérites du GEMS et de ses membres, comme elle l’avait fait avant sa dissolution. Chassez le virologue par la porte, il vous reviendra par la fenêtre d’opportunité qu’offre la structure consultative à peine forgée. Il y a tout lieu de craindre que subsistent le manque de transparence et l’incapacité à apporter un soutien éclairant aux politiques. Mais, après tout, le club des experts ne pourrait-il pas s’ouvrir un peu ? Les disciplines dites essentielles ne pourraient-elles pas fournir d’autres spécialistes : vaccinologues enclins à l’autocritique, biostatisticiens susceptibles de construire des modèles moins alarmistes et, plus généralement, scientifiques en mesure d’endosser un rôle d’aide à la décision sans pour autant pousser leurs idées politiques dans les médias ? Et au fond, des disciplines jugées moins essentielles (éthique, droit, anthropologie ou médecine générale) ne pourraient-elles pas entrer dans le saint des saints ? Ne serait-il pas possible, en somme, de se montrer moins sourd à l’appel lancé dans le Manifeste d’hiver ?

Notes

Notes
1 Publié le 30 décembre 2021, le Manifeste d’Hiver est le titre donné par 120 chercheurs belges à la critique qu’ils ont formulée à l’encontre des organes chargés de conseiller le gouvernement dans sa gestion de la crise sanitaire. Il existe en deux langues, la version française est accessible ici.
2 Pour une perspective bio-statistique, virologique et épidémiologique sur cet avis, nous renvoyons à l’analyse de Covidrationnel : https://covidrationnel.be/2022/01/14/un-barometre-pour-covid-9-oui-mais-lequel/
3 Dans le Manifeste d’Hiver, ces chercheurs épinglent les problèmes suivants : « Une évaluation complète de l’appareil politique belge du COVID avec tous ses conseils et comités (le GEMS, le Groupe d’évaluation des risques, le Conseil supérieur de la santé, la Taskforce Vaccination, Sciensano, le Comité consultatif belge de bioéthique, les différents cabinets et conférences interministérielles, etc.) dépasse le cadre de ce texte. Il n’est pas non plus nécessaire de le faire pour pointer du doigt un certain nombre de problèmes structurels que beaucoup de ces conseils et comités ont en commun à un degré plus ou moins élevé. Nous allons les énumérer brièvement, avant de les examiner plus en détail : (1) l’absence de vision durable à long terme ; (2) l’émergence de la vision en tunnel et de la pensée de groupe ; (3) une confusion indésirable entre la science et les choix éthiques ; (4) un manque de transparence, de crédibilité et de confiance ; (5) les médias en tant qu’amplificateur de nombre de ces problèmes. (…). L’importance de la multidisciplinarité, de la subsidiarité et de la proportionnalité. Étant donné que les comités consultatifs du monde entier se sont concentrés sur les virologues, les épidémiologistes et les biostatisticiens, l’attention s’est unilatéralement focalisée sur les mesures visant à ralentir la transmission et la propagation du virus. Cette approche quasi-monodisciplinaire explique que les effets collatéraux ou les dommages sociaux, économiques, culturels, sportifs, éducatifs et psychosociaux ont été considérés comme secondaires dans la lutte contre le virus. Or, la question centrale devrait au contraire être de savoir si une mesure est la seule possible, et donc nécessaire, dans le contexte donné, et si elle est proportionnée au risque à combattre, ce qui suppose une vision claire des dommages qu’elle peut causer (principe de proportionnalité). Ces dommages doivent d’abord être examinés par un large éventail d’experts. Dans la mesure du possible, leurs conseils doivent être fondés sur des données et faire l’objet d’une évaluation continue : ils doivent s’appuyer sur les connaissances scientifiques les plus récentes et sur l’évolution des idées, en précisant toutes les incertitudes et nuances connues. »
4 Leur principal argument consiste à dire que, bien qu’ils ne soient que vingt-deux, ils sont à l’écoute d’autres avis – une méthode informelle par laquelle ils estiment garantir la représentation la plus large possible des disciplines scientifiques. La ligne de défense peine pourtant à rassurer, parce qu’à nos yeux, rien ne remplace la représentation structurelle de toutes les perspectives scientifiques concernées.
5 Pour le gouvernement, il y a un intérêt évident à conserver le CST : c’est probablement l’un des seuls leviers dont il dispose pour intervenir directement sur la situation sanitaire. Il peut imposer le port du masque et la distance sociale, mais dans une perspective bureaucratique où l’efficacité de l’action publique se mesure au spectacle des procédures, il est plus satisfaisant de disposer d’un instrument s’appliquant à toute forme d’activité publique. D’autant que le CST offre le moyen idéal de compenser ce que le gouvernement est par définition incapable de produire. À défaut d’être en mesure d’acheter une immunité naturelle à ses citoyens, ce dispositif lui permet d’inciter à la vaccination. Sans la rendre obligatoire, il en fait un sésame quasi incontournable pour conserver une vie sociale – succès incontestable de la gestion managériale de la politique en faveur d’une obligation vaccinale déguisée. Reconnaissons ses mérites et gardons-le précieusement en réserve.
6 La ministre wallonne de la santé, Christie Morreale (PS), l’affirmait à l’approche du Codeco du 4 mars 2022 : « Ça ne veut pas dire qu’on va supprimer complètement le CST qui a été utile, notamment lors de la quatrième vague. Mais on peut aujourd’hui le ranger dans notre boîte à outils » (« Le CST sera levé immédiatement dès le passage au code jaune », Le Soir, 23/02/2022, édition en ligne consultée le 23/02/2022 à 15h25). Pour reprendre les mots de la gouverneure de la province d’Anvers, Cathy Berx (CD&V), « nous ne pouvons tout simplement pas jeter les deux années d’expertise que nous avons accumulées, parce qu’après le Covid-19, d’autres maladies infectieuses risquent de surgir à l’avenir » (cité dans « Vernietig het CST. Nu », Doorbrak.be, 17/02/2022, édition en ligne consultée le 17/02/2022 à 19h18, nous traduisons). Si nous ignorions au départ à quoi pourrait servir un si bel outil, ne serions-nous pas mal avisés de l’abandonner au bord de la route ? Envisageons plutôt de le ressortir plus tard. Après tout, Darwin ne nous a-t-il pas appris que l’organe faisait la fonction ? Ce n’est pas le premier ministre Alexander De Croo (Open VLD) qui en disconviendra, lui qui déclarait que « beaucoup de choses sont désormais possibles ici, et cela grâce au CST » (Dieter De Cleene, « Nederlanders zeggen coronapas op 25 februari vaarwel. Wanneer volgt ons land? », De Morgen, 15/02/2022, édition en ligne consultée le 27/02/2022, nous traduisons).
7 À savoir : Isabelle Aujoulat, Philippe Beutels, Caroline Boulouffe, Steven Callens, Mathias Dewatripont, Lode Godderis, Niel Hens, Tinne Lernout, Romain Mahieu, Christelle Meuris, Geert Molenberghs, Céline Nieuwenhuys, Michel Thieren, Pierre Van Damme, Dimitri Van der Linden, Steven Van Gucht, Yves Van Laethem, Marc Van Ranst, Maarten Vansteenkiste, Erika Vlieghe et Dirk Wildemeersch.
8 Le Risk Assessment Group (RAG) analyse le risque pour la population sur la base de données épidémiologiques et scientifiques. Ce groupe se compose de médecins épidémiologistes de Sciensano (l’ancien Institut scientifique de santé publique), des autorités sanitaires de l’État fédéral et des entités fédérées, et enfin d’experts possédant des connaissances spécifiques du risque sanitaire. Voir https://www.health.belgium.be/fr/menaces-pour-la-sante-publique).
9 On pourrait s’attendre à ce que la situation normale corresponde simplement à des valeurs inférieures au niveau 1 (ou code jaune) : situation épidémiologique et pression sur les hôpitaux sous contrôle (Nouvelles hospitalisations/jour : moins de 65, occupation des soins intensifs : moins de 300 lits). Or, comme ce niveau 1 n’est pas défini par un intervalle mais par une valeur absolue inférieure (par exemple, incidence hospitalière sur 7 jours < 4/100 000), on peut en conclure que le baromètre ne prévoit pas le moment du passage du jaune au vert.
10 Maarten Vansteenkiste (UGent) mène précisément des travaux sur les questions de motivation.
11 Plus question de former les gens à cette culture de risque : selon le gouvernement, le baromètre sert les secteurs concernés et la transparence : « Le baromètre corona se veut un outil de préparation proactive des politiques et de communication et devrait offrir plus de prévisibilité aux secteurs concernés, structurer les décisions du Comité de concertation et les rendre plus transparentes » (https://www.info-coronavirus.be/fr/news/occ-2101/).
12 « Le baromètre corona comporte trois phases qui reflètent le niveau de pression sur les soins de santé :

code jaune : situation épidémiologique et pression sur les hôpitaux sous contrôle (Nouvelles hospitalisations/jour : moins de 65, occupation des soins intensifs : moins de 300 lits. (…)) ;

• code orange : pression croissante sur le système de santé, nécessitant une intervention pour inverser la tendance (Nouvelles hospitalisations/jour : 65-149, occupation des soins intensifs : 300-500 lits. (…) ;

• code rouge : risque élevé de surcharge du système de santé (Nouvelles hospitalisations/jour : plus de 150, occupation des soins intensifs : plus de 500 lits. (…) ».

13 Erika Vlieghe, sa présidente, ne tenait d’ailleurs pas un autre propos dans une interview pour le magazine Doorbraak : le CST repose sur des preuves scientifiques (qu’on peine à trouver…), mais sa mise en œuvre relève d’un choix politique. Voir « Erika Vlieghe: ‘Er zijn ook argumenten pro Covid Safe Ticket’ GEMS houdt vast aan CST op basis van adviezen van voor de hoorzittingen », entretien avec Christoph Degreef, Doorbraak.be, 12/02/2022, édition en ligne consultée le 12/02/2022 à 10h03.
14 Même la Loi pandémie, qui est censée régler et identifier les mesures de police administrative lors d’une situation d’urgence épidémique, insiste sur le respect de ces principes (Loi du 14 août 2021 relative aux mesures de police administrative lors d’une situation d’urgence épidémique, Moniteur belge du 20 août 2021). Cette loi prévoit effectivement que le Gouvernement fédéral peut adopter des mesures de police administrative lors d’une situation d’urgence épidémique, mais comme toutes mesures de police administrative, celles-ci doivent être nécessaires, adéquates et proportionnelles à l’objectif poursuivi (art. 4, par. 3 de la loi).
15 De nombreuses voix, chiffres à l’appui, invitent pourtant à se montrer moins affirmatif, mais le GEMS feint ici de les ignorer. Cf. Simon N. Wood, « Inferring UK COVID-19 Fatal Infection Trajectories from Daily Mortality Data: Were infections already in decline before the UK lockdowns? », Biometrics (Wiley), Mars 2021, https://onlinelibrary.wiley.com/doi/full/10.1111/biom.13462
16 Du moins est-ce cette mesure-là que l’Annexe 2 de l’avis du 12 décembre 2021 prend en exemple, p. 21-23.
17 À juste titre, le Manifeste d’hiver observe que « étant donné que les comités consultatifs du monde entier se sont concentrés sur les virologues, les épidémiologistes et les biostatisticiens, l’attention s’est unilatéralement focalisée sur les mesures visant à ralentir la transmission et la propagation du virus. Cette approche quasi-monodisciplinaire explique que les effets collatéraux ou les dommages sociaux, économiques, culturels, sportifs, éducatifs et psychosociaux ont été considérés comme secondaires dans la lutte contre le virus. »
18 Manifeste d’hiver : « La façon dont se prennent les décisions est importante, mais aussi ce que l’on décide ».
19 K. Moller, « The Proportionality of Lockdowns », in Aleida Mendes Borges, Sinéad Murphy, Yossi Nehushtan, and Peter Sutoris (eds.), Pandemic Response and the Cost of Lockdowns: Global Debates from Humanities and Social Sciences, London, Routledge, 2022 (sous presse, consultable ici). L’auteur distingue trois « pathologies » du discours politique et public sur les mesures non-pharmaceutiques comme les confinements, quand il s’agit de choisir des mesures et de trouver l’équilibre entre la sévérité de la restriction de la liberté et l’intérêt public à protéger la santé et les vies. Premièrement, en se concentrant de manière unilatérale sur la protection de la vie, le discours public et politique a négligé la question de la gravité de la restriction de la liberté et, par conséquent, les coûts des confinements, en particulier leurs coûts sociaux, médicaux, psychologiques, culturels et économiques. Au niveau belge, ce problème a également été signalé en détail dans le Manifeste d’hiver. Deuxièmement, en plaçant de facto un tabou sur la question de la pertinence de la répartition par âge des personnes qui meurent de Covid-19, on a empêché une prise en compte adéquate de ce facteur. Troisièmement, les considérations perçues comme déterminantes pour trouver un équilibre entre la protection de la vie et la garantie de la liberté, à savoir la protection des services de santé contre une surcharge et/ou la préférence donnée à la vie humaine comme valeur suprême, n’étaient pas convaincantes sur le plan normatif. Sur cette question, lire aussi E. Bendavid et al., « Assessing Mandatory Stay-at-Home and Business Closure Effects on the Spread of COVID-19 », European journal of clinical investigation, 2021 ; K. Farsalinos et al., « Improved Strategies to Counter the COVID-19 Pandemic: Lockdowns vs. Primary and Community Healthcare », Toxicology Reports, 8, 2021, p. 1-9 ; et M. Coccia, « The Relation between Length of Lockdown, Numbers of Infected People and Deaths of Covid-19, and Economic Growth of Countries: Lessons Learned to Cope with Future Pandemics Similar to Covid-19 and to Constrain the Deterioration of Economic System », Science of the Total Environment, 775.
20 « De plus, de tels conseils et comités, en particulier si leur composition reste inchangée, sont vulnérables au phénomène de la pensée de groupe. Ils visent un consensus qui conduit finalement à un manque d’examen interne critique et à l’incapacité d’imaginer des perspectives alternatives. Or même le consensus scientifique reste hautement sociologique et non purement scientifique. Ce processus est alimenté par un biais de confirmation (la tendance à ignorer également les preuves contradictoires) et le sophisme du coût irrécupérable (le fait qu’il est psychologiquement difficile d’abandonner une voie choisie, même si elle s’avère être la mauvaise) et l’effet d’imprégnation qui lui est lié. Cela peut expliquer pourquoi il y a parmi les experts belges au sein des comités consultatifs une vision assez uniforme de la pandémie, alors que d’autres pays européens comme la Suède et le Royaume-Uni préconisent parfois une approche différente » (Manifeste d’hiver)
21 « Or, la question centrale devrait au contraire être de savoir si une mesure est la seule possible, et donc nécessaire, dans le contexte donné, et si elles est proportionnée au risque à combattre, ce qui suppose une vision claire des dommages qu’elle peut causer (principe de proportionnalité). Ces dommages doivent d’abord être examinés par un large éventail d’experts. Dans la mesure du possible, leurs conseils doivent être fondés sur des données et faire l’objet d’une évaluation continue : ils doivent s’appuyer sur les connaissances scientifiques les plus récentes et sur l’évolution des idées, en précisant toutes les incertitudes et nuances connues. »
22 Kai Möller, 2022, ibid.
23 Kai Möller, The Global Model of Constitutional Rights, Oxford University Press, 2012 (paperback 2015), p. 13-14.
24 Autorité de protection des données, avis n° 245/2021 du 17 décembre 2021, « Demande d’avis concernant un avant-projet d’ordonnance relative à l’extension du COVID Safe Ticket en cas de nécessité découlant d’une situation épidémiologique particulière (CO-A-2021-262),

https://www.autoriteprotectiondonnees.be/publications/avis-n-245-2021.pdf.

25 Eric C. Ip., « Courts, Proportionality and COVID-19 Lockdowns ». September 23, 2021. / IACL-AIDC Blog. https://blog-iacl-aidc.org/covid19-future-constitutionalism/2021/9/23/courts-proportionality-and-covid-19-lockdowns: « Unfortunately, several courts around the world have been watering down structured proportionality in the judicial review of COVID-19 emergency measures (…) ignoring wholesale the steps required by structured proportionality. A public health emergency per se neither suspends entrenched fundamental rights nor invalidates the continued applicability of structured proportionality and similar doctrines in the countries that recognise them. The transparent analytical steps that these doctrines obligate authorities to openly undertake should not be sidestepped by public health officials or courts, especially in times of high stress and emotionality like the outbreak of a pandemic. To paraphrase the English Chief Justice Lord Hewart in R v Sussex Justices, ex parte McCarthy [1924] 1 KB 256: doing justice is not enough, even under a pandemic. Justice should be seen to be done through conspicuous and rigorous analyses of the legitimacy, rationality, and necessity of public health emergency measures that drastically restrict constitutionally protected rights and interests. ».
26 Dans le domaine médical, épidémiologique, pédagogique, économique, juridique, psychologique, social, artistique-culturel, sportif, gestion d’entreprise, organisation (de soins), éthique, syndical…
27 Cette transparence garantit que les autres experts et les généralistes, ainsi que le grand public (éventuellement par le biais d’enquêtes en ligne régulières), soient activement invités à contribuer et à identifier toute lacune dans la réflexion.
28 K. Moller, « The Proportionality of Lockdowns », in Aleida Mendes Borges, Sinéad Murphy, Yossi Nehushtan, and Peter Sutoris (eds.), Pandemic Response and the Cost of Lockdowns: Global Debates from Humanities and Social Sciences, London, Routledge, 2022 : « The third question is whether lockdowns were necessary in that there was no less restrictive but equally effective alternative. Critics of lockdowns often point to the ‘Swedish way’ of dealing with the pandemic, which focused less on legal prohibitions and more on recommendations, or the approach advocated by the Great Barrington Declaration, which proposed ‘shielded protection’ of those most at risk from the virus but otherwise no restrictions, in order to build up herd immunity which would then also protect the vulnerable. But whether these approaches really are equally effective is empirically unclear. For example, the proponents of the ‘Swedish way’ tend to compare the number of Covid deaths in Sweden with those in other European countries, its opponents with those in the other Scandinavian countries. There are empirical uncertainties here partly because it is difficult to compare the effectiveness of one country’s approach with that of another country or a hypothetical alternative (as in the case of the Great Barrington Declaration, which, to my knowledge, has not been followed anywhere). Where there is empirical uncertainty, proportionality grants the original decision maker (the state) a certain margin of appreciation. Note also that it would seem that lockdowns work quite well precisely because they are such extreme measures. Connected to this point, the strongest argument in favour of the ‘Swedish approach’ and the Great Barrington Declaration seem to be not that they are necessarily (or demonstrably) better at protecting lives and health but rather that they strike a more appropriate balance between freedom and protecting lives; this is however not a question to be considered at the necessity stage but rather at the balancing stage. »
29 Une excellente synthèse est proposée par le CovidRationnel, « De l’efficacité des aérations et ventilations pour juguler les risques épidémiologiques en lieux clos », 21/12/2021 (consultée le 1/03/2022 à 15h43).
30 Pour un aperçu de ce modèle utilisé dans la prévention et la gestion de risques, le lecteur pourra consulter la page wikipédia.
31 Sur ce point, l’avis rejoint la position des politiques que nous évoquions dans la section 2 – à cette différence près, surprenante, que le GEMS exprime des regrets, comme nous le verrons dans la section 12.
32 En Belgique, d’après les chiffres publiés par Sciensano (consultés le 3 mars 2022), sur un total de 30 217 décès liés au Covid et recensés depuis mars 2020, seuls 187 concernaient des personnes entre 25 et 44 ans, tandis qu’aucun décès n’était indiqué pour la catégorie des moins de 25 ans – en réalité, à cette date, le nombre de décès pour les 0-24 ans s’élèverait à 15 (selon cette autre source statistique). Soient 0,61 % et 0,05 % du total des décès (pour environ 25,8 % et 28,2 % de la population belge totale, respectivement).
33 Les journaux ont relayé des tweets des ministres régionaux de la santé : « « Pas un jour de trop! »: Christie Morreale et Alain Maron veulent suspendre le CST en Wallonie et à Bruxelles dès l’annonce du code jaune », le 23/02/2022, édition en ligne consultée le 4 mars 2022 à 13h. Au vu des réserves formulées dans le paragraphe précédent, on se demande si ce jour de trop n’était pas celui de l’entrée en vigueur du CST. Toutefois, le problème n’est pas posé en ces termes, il n’est même pas soulevé : en dépit de tous ses défauts, il devait y avoir une raison de garder le CST jusqu’ici. Mais laquelle ? On attend les arguments.
34 Karin Verelst, « ‘Algemene verplichte vaccinatie, onder welke vorm dan ook, vindt in België geen enkele rechtsgrond‘ », Knack, 2/02/2022, édition en ligne consultée le 22/02/2022.
35 Nous renvoyons sur ce point à notre section 10.
36 Bart Brinckman, « De verplichte vaccinatie is van de baan », De Standaard, 05/02/2022, édition en ligne consultée le 8 février à 15h26.

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